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naufrage apportent l’esprit et les habitudes de la patrie qu’ils ont dû fuir. Sa correspondance nous fait assister à des soirées littéraires où paraissent Mme de Staël, Mme de Flahaut et Mlle d’Osmont, récemment mariée à M. de Boignes, « cette délicate figure de porcelaine, dit-il, qui ornerait mieux une garniture de cheminée élégante que la maison de ce grenadier suisse. » Il fait passer devant nos yeux MM. Malhouët, de Lally-Tollendal, le prince de Poix, etc. Ses récits, toujours agréables, prennent une teinte plus triste quand il vient à parler d’autres émigrés, non moins bien nés, qui se trouvent sans ressources sur une terre étrangère. C’était aussi le moment où certaines modes, donnant aux femmes un faux air de statues antiques ou plus inconvenant encore, leur prêtaient une tournure singulière, dont sir Gilbert s’amuse à faire la plaisante description à lady Elliot. Cette correspondance change fréquemment de ton, comme il arrive dans le commerce des gens qui ne sont ni pédans ni frivoles et prennent un intérêt aimable aux choses qui passent devant leurs yeux. Nous touchons cependant au moment où, la scène venant à changer, sir Gilbert Elliot trouve dans l’activité d’une nouvelle carrière l’occasion de mettre en valeur ses véritables facultés.

À ce moment, Toulon était au pouvoir de l’Angleterre. Par un traité passé avec les royalistes, l’amiral Hood occupait cette ville au nom du roi de France. Il était nécessaire d’y envoyer un agent chargé de régler les nombreux intérêts engagés dans cette aventureuse expédition ; sir Gilbert, parti au mois de novembre 1793, eut lieu de s’apercevoir en arrivant que la situation n’était pas telle que son gouvernement se l’était représentée ; les instructions qu’il avait reçues n’étaient plus applicables. Bloquée du côté de la terre ferme par les troupes républicaines, la ville ne pouvait communiquer avec le dehors. Un mois à peine après l’arrivée de sir Gilbert, l’enlèvement du fort Mulgrave et l’effet de la batterie pointée par le jeune lieutenant d’artillerie Bonaparte ayant menacé leur flotte d’une destruction complète, les Anglais durent se retirer ; ils ne pouvaient toutefois s’éloigner sans emmener avec eux environ 4,000 malades ou blessés et 2,000 ou 3,000 Français royalistes qui étaient venus se placer sous leur protection. Dans ses lettres à lady Elliot et dans ses dépêches officielles adressées au ministre Henry Dundas, sir Gilbert raconte les lamentables circonstances de cette évacuation précipitée. On les connaît trop bien pour que nous transcrivions d’autres détails que ceux qui lui sont, pour ainsi parler, personnels, et qu’on ne saurait trouver ailleurs.


« Durant cette journée, les malheureux habitans, terrifiés, se jetaient