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qui fait mousser le Champagne dans les soupers délicats, chansonne ses désastres au lieu de les venger, et répète en riant le mot de son roi : « après nous, la fin du monde. » L’Année merveilleuse complète le tableau. D’après une prophétie écrite en caractères hiéroglyphiques dans un temple égyptien, les hommes, dit l’abbé Coyer, seront changés en femmes et les femmes en hommes, le jour où cinq planètes qui se cherchent depuis le commencement du monde entreront en conjonction. Or tout annonce que les planètes se rapprochent, et que le prodige ne tardera pas à s’accomplir, car la transformation qui doit s’opérer dans les corps s’est déjà opérée dans les esprits. Autrefois les dames s’occupaient seules de parure et de toilette ; aujourd’hui les hommes professent dans les cercles sur les rubans, les pompons, les aigrettes et toutes les modes. Ils font assaut avec les duchesses d’odeurs et de frisure. Ils dérobent à l’autre sexe ses minauderies, ses caprices, et poussent jusqu’aux vapeurs. On les voit, en boucles d’oreilles, faire de la tapisserie, donner audience dans leur lit à midi, interrompre un discours sérieux pour converser avec un chien, parler à leur propre figure dans une glace, caresser leurs dentelles, entrer en rage pour un magot brisé, tomber en syncope pour un perroquet malade ; en bien comme en mal, ils escaladent tous les superlatifs ; ils sont enchantés, comblés, furieux, sur des choses qui n’auraient point causé la moindre émotion à leurs aïeux, ni même à leurs aïeules. Leur constitution s’affaiblit, leurs pieds n’ont plus de force, les riches ne marchent plus, et lors même qu’ils vont en carrosse, ils sont excédés. On n’a plus que des moitiés ou des quarts d’hommes. Qu’on les mesure ou qu’on les pèse, on y trouve toujours du déchet, et si quelque Gaulois ressuscité venait se promener à Paris, il ne manquerait pas de leur demander pourquoi ils portent encore de la barbe. Au fur et à mesure que le sexe fort s’affaiblit, ses attributs passent au sexe faible ; les femmes disposent de tout, elles règlent tout ; les jeunes gens ne sont plus que des pendules où elles marquent les heures : celles du jeu, du spectacle, de la promenade, des grands et des petits soupers ; l’âge mûr ne se soustrait pas à cet empire, ni l’importance des emplois. Une fille de seize ans dit à un magistrat de quarante : — Au lieu d’examiner dans votre cabinet si ce malheureux conservera sa fortune ou la perdra, regardez-moi tous les jours pendant plusieurs heures, — il la regarde, — aimez-moi plus que votre femme, — il y consent, — ruinez-vous pour moi, — il se ruine. Les autels et le notaire avaient semblé assurer la domination aux maris ; la nature franchit la barrière, et donne aux femmes le premier rôle. On va voir madame, faire la partie de madame, dîner avec madame, madame est servie, le mari peut s’absenter ; c’est un personnage que l’on double d’autant plus facilement