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très près ses moyens de retour ; il fut fort heureux de trouver, pour le ramener vers l’Europe, d’autres vents et d’autres courans que ceux qui l’avaient conduit aux Lucayes.

Dans les mers de l’Inde, on n’eut point à subir de pareilles anxiétés. Les récits de Marco Polo, l’expérience de Pero de Covilham, qui en 1486 se rendit d’Aden à Calicut et de Calicut à Sofala, donnaient à Vasco de Gama l’assurance que, s’il avait vent en poupe pour aller de l’Afrique à la côte de Malabar, il trouverait dès les premiers jours de l’automne un vent non moins propice pour revenir à l’entrée de la Mer-Rouge. Les Romains avaient sous leurs empereurs commercé avec l’Inde, les Arabes n’eurent qu’à reprendre ces relations interrompues. Ils s’arrêtèrent vers le milieu du canal de Mozambique, retenus par la crainte des courans à la hauteur du cap Corrientes, comme les Portugais l’avaient été à la hauteur du cap Noun. Le pays des Ouac-Ouac resta pour eux une contrée fabuleuse ; pour en approcher, il eût fallu passer devant les fameuses montagnes d’aimant. Tous les peuples navigateurs ont eu leurs légendes ; mais sous la légende se cache généralement un fonds de vérité. Dès le XIIe siècle, on ne doutait pas en Europe que les peuples établis sur les bords de l’Océan indien ne traversassent de longs espaces de mer. On n’attribuait pas encore cette audace à la possession de la boussole et au régime si commode des moussons ; on croyait que les Indiens lâchaient au départ des oiseaux qui, en retournant à leurs nids, montraient au pilote la route à suivre.

Tant qu’on voulut se régler sur les saisons, se borner à faire chaque année un voyage, la navigation des mers de l’Inde fut facile, et on rencontra des itinéraires tout tracés ; dès qu’on entreprit davantage, qu’on prétendit se servir de la mousson en la prenant de biais ou à revers, on se trouva lancé dans un nouveau genre de découvertes. Au lieu de terres nouvelles, il fallut découvrir des routes. Il se déploya dans cette recherche une imagination, une persévérance, qui le cèdent à peine aux premières ardeurs de la navigation hauturière. C’est alors que les îles se rencontrent à foison et que les grandes solitudes des cartes se peuplent. Il ne se passe pas deux cents ans que le monde tout entier est connu. Aujourd’hui nous trouvons, non sans quelque raison, la planète bien étroite ; nous allons partout et nous y allons si vite ! La Cochinchine n’est plus qu’à trente jours de Marseille. C’est que depuis un quart de siècle un grand fait est intervenu : le vent a cessé d’être notre maître. Nous avons dans nos flancs les outres d’Éole, et la tension que ces outres renferment, nous la dépensons à notre gré. La navigation hauturière ne pouvait manquer d’être profondément modifiée par un événement aussi considérable.

Trois sortes de navigations sont pour le moment en présence : la