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Combien de ces gens-là se seront dit que, dans les temps périlleux, un moyen de sauver sa tête est de se mettre avec ceux qui frappent et qui tuent?

Il faudrait au psychologue, disions-nous, pour une telle étude, les confessions sincères de ces hommes, tout au moins leurs lettres, les témoignages de ceux au milieu de qui ils ont vécu, le récit détaillé de leurs actes, les échos de leurs paroles et de leurs pensées. C’est donc rendre à l’histoire et, bien plus, à la conscience française un vrai service que de s’attacher à publier, comme le fait depuis plusieurs années M. Francisque Mège, tous les documens de l’histoire révolutionnaire qu’on trouve encore autour de soi dans les bibliothèques et archives publiques ou de familles, et particulièrement ceux qui permettent de pénétrer dans l’étude des sentimens individuels. M. Mège a eu la bonne fortune de pouvoir publier à la fois la correspondance de deux personnages inégalement célèbres, il est vrai, mais qui, députés tous deux du Puy-de-Dôme à l’assemblée législative, ont été les témoins et sont devenus, dans une double série de lettres à leurs électeurs, les appréciateurs diversement inspirés d’une même partie de la période révolutionnaire. Il est curieux de voir Rabusson-Lamothe et Couthon, unis au point de départ, se diviser bientôt sous l’empire de sentimens distincts, suivre chacun sa voie, et juger de façons contraires les mêmes épisodes.

C’est un pur modéré que Rabusson-Lamothe. Il faut absolument s’en tenir, suivant lui, à la constitution de 1791, et ne pas aller plus loin. Il est plein de confiance dans le roi, dans les ministres; il est opposé aux empiétemens constans de l’assemblée législative sur la prérogative royale. Après le 10 août cependant, il se déclare illuminé tout à coup de clartés nouvelles, et passe à la cause de la république. Il est dès lors visiblement déçu, démoralisé, mais surtout très effrayé : aussi ne cherche-t-il pas le moins du monde à se faire envoyer à la convention. La série de ses lettrés marque très bien le déclin mesuré de ses convictions et de son ardeur. Il était d’ailleurs observé de près par son compatriote et collègue Couthon; vers la fin de la législative, celui-ci avait décidément rompu avec lui; puis, après la conversion apparente de Rabusson-Lamothe au 10 août, il lui avait bruyamment pardonné ses erreurs et donné « le baiser fraternel. » Couthon n’en prit pas moins part aux poursuites dirigées plus tard contre Rabusson-Lamothe et à son emprisonnement, que le 9 thermidor vint seul faire cesser.

La figure de Couthon, à côté de cette physionomie effacée, dont nous retrouverions sans doute alors des exemplaires nombreux, se montre en pleine lumière, comme on pense, avec un éclat presque séduisant d’abord, mais finalement sinistre. En 1787, quand l’approche des états-généraux commence à l’appeler aux affaires, Couthon est un brillant avocat de trente-deux ans, à la figure douce et avenante, au caractère aimable, sympathique, ardent. Il vient de faire un mariage d’inclination.