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l’acier avait frappé apparut dans la pierre une bande de fer. Il frappa le tombeau dans sa longueur, et une bande de fer se montra dans la longueur du couvercle. « Je vais expirer, dit alors le titan; penche-toi vers la fente, je soufflerai encore vers toi, et je te communiquerai toute ma force. — J’ai bien assez de force, répond le héros; si j’en avais davantage, la terre pourrait à peine me porter. — Tu as bien fait, mon jeune frère, de ne pas obéir à mon dernier ordre. C’est le souffle de mort que je t’aurais soufflé; tu serais tombé sans vie à côté de moi. Maintenant adieu; je te donne mon glaive trempé dans l’eau de puits; pour mon cheval, attache-le à mon tombeau. Nul autre que moi ne doit le posséder. » Ainsi disparut Sviatogor, vaincu par sa destinée. N’est-ce pas ainsi que le sage Myrdhin, à la prière de Viviane, la Dalila celtique, s’enferma lui-même dans le sépulcre fatal?


II.

Cependant Ilia de Mourom n’avait demandé leur bénédiction à ses parens que pour se rendre immédiatement auprès de Vladimir. Les poètes populaires l’auraient-ils oublié? — Ilia chevauche donc vers Kief. Avant de partir, il avait fait un vœu, celui « de ne pas ensanglanter ses mains. » Ce trait d’humanité n’est pas le seul à relever dans sa légende. Son bon cheval, à chaque foulée, franchissait une verste, enjambant les lacs, les rivières et les forêts. Pour aller de Mourom à Kief, il y a deux chemins : un plus long, un plus court ; mais le plus court est infesté par le brigand Soloveï. Ilia trouve honteux de faire un détour, et au bout de 500 verstes il se trouve en présence de l’ennemi. Un monstre bien étrange que ce Soloveï! Son nom signifie le Rossignol; mais il rappelle plutôt les gigantesques oiseaux du lac Stymphale, les ignobles harpies. Il s’était bâti un nid sur sept chênes, étendait ses griffes à sept verstes autour de lui et depuis trente années infestait la contrée. Il rugissait à la manière des bêtes fauves, hurlait à la manière des chiens, « sifflait comme un rossignol. » Seulement, quand il sifflait, les grands arbres des forêts se courbaient jusqu’à terre. À ce sifflement, le bon cheval d’Ilia tomba sur ses genoux. De sa cravache de soie, le héros le cingla entre les deux oreilles et sur ses flancs rebondis : « Gibier de loup, sac à foin, lui dit-il, n’as-tu jamais entendu le rugissement des bêtes, le hurlement des chiens, le sifflement du rossignol ? » Mais il vit que le péril était grand; oubliant son vœu téméraire, il banda son arc, et de sa flèche d’acier atteignit le brigand à l’œil droit. Soloveï dégringole de son nid : Ilia l’attache à son étrier et se met en devoir de l’emmener. La femme et les enfans du monstre saisissent des épieux pour assaillir le héros, puis s’efforcent de négocier la