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En particulier, la liberté du travail, qui est une des branches principales de la liberté civile, cessa d’être un vain mot. Les charges sous lesquelles pliaient les hommes industrieux avant la révolution étaient définitivement supprimées, de même que la réglementation extravagante que Turgot avait voulu détruire, et que la royauté, dans son fatal aveuglement, avait réintégrée aussitôt après en avoir décrété l’abolition. Le libre exercice des professions, pour l’ouvrier comme pour le patron, pour le commis de magasin comme pour le grand commerçant, recevait de la législation et de l’esprit de l’administration des garanties nouvelles, et engendrait les avantages publics et privés qui en découleront toujours chez un peuple animé du désir de s’élever au bien-être par le travail. Les impôts étaient modérés; la répartition en était faite conformément au principe de l’égalité devant la loi, et ni l’assiette ni la quotité de ces impôts ne faisaient échec à l’activité industrieuse des citoyens. Le système douanier, il est vrai, était étroit, restrictif, exclusif, et ce fut de la part du premier consul une lourde faute que de maintenir dans leur intégrité brutale les rigueurs du régime douanier que lui avait légué le directoire par la loi du 10 brumaire an V. Cette loi, dont chaque ligne se terminait par le mot de prohibition et qui s’appliquait aux marchandises de tous les peuples par la raison qu’elles pourraient bien être anglaises, avait été acceptée avec une sorte de frénésie par le public dans le débordement de sa haine contre l’Angleterre. Elle gênait l’industrie nationale, qu’elle prétendait protéger, en privant les manufactures françaises de produits à demi fabriqués, tels que les filés de coton, qu’on eut élaborés avec avantage, d’une multitude d’outils et d’instrumens en fonte, en fer, en bronze, qui eussent été pour le travail national de précieux auxiliaires, et de la faculté de voir et de manier les produits parachevés qui eussent été des modèles en même temps que des stimulans. Vainement, en 1801, la paix d’Amiens enleva tout prétexte à cette mesure de guerre implacable. Le premier consul, mal conseillé, se refusa non-seulement à la révoquer, mais même à en tempérer la violence, et ce fut une des causes qui excitèrent la défiance et la colère du peuple anglais, et déterminèrent en 1803 la reprise des hostilités avec un redoublement de fureur. Il ne faut pas s’exagérer pourtant les inconvéniens économiques qu’entraîna, sous le consulat et plus tard, la préférence de Napoléon pour le régime ultra-protecteur, À cette époque, les manufactures françaises, en voie de renaissance et qui tâtonnaient encore, ne pouvaient prétendre à occuper une place importante sur le marché général du monde, et le marché national, affranchi des douanes intérieures qui l’interceptaient dans tous les sens sous l’ancien régime, était assez vaste pour suffire à leur succès. Les routes, mieux entretenues et