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il le chargea d’assurer le prince qu’il l’avait toujours servi avec fidélité. Si dans l’exercice de ses fonctions il avait fait quelque chose qui fût contraire à ses vues, il le priait de le lui pardonner et de tenir ses enfans dans sa gracieuse faveur. Quand Maurice entendit ce message, ses yeux se mouillèrent; il exprima quelques sentimens de compassion; il avait toujours, dit-il à Walœus, cherché à retenir Barneveld, à lui faire comprendre ses erreurs. Comme tous ceux que trouble un remords, il revint longuement sur tous ses griefs. Deux choses surtout l’avaient indigné : Barneveld l’avait accusé d’aspirer à la souveraineté; à Utrecht, il lui avait fait courir les plus grands périls; mais il pardonnait tout... Au moment où le ministre sortait : « N’a-t-il pas parlé de pardon? dit-il avec une émotion mal déguisée. — Monseigneur, je ne saurais, en vérité, vous dire qu’il y ait fait aucune allusion. » Un mot sans doute aurait sauvé le vieil avocat de Hollande : ce mot, il ne pouvait pas le prononcer... Il n’eut pas un moment de faiblesse; sa sérénité arrachait des larmes à tous ceux qui l’approchèrent pendant ces heures suprêmes. Il disserta tranquillement avec quelques ministres sur la prédestination, leur fit des questions sur le synode : « on veut retourner au système des conciles. » Il avoua qu’il eût mieux aimé des synodes provinciaux. « Vous avez poussé les choses à l’extrême, dit-il aux ministres, vous n’avez pas été assez doux les uns pour les autres. »

Il passa la nuit sans dormir, écoutant les prières que lui lisait un ministre, l’interrompant de temps à autre pour disserter avec lui. Il demanda vers le matin si Grotius et Hoogerbeets seraient exécutés avec lui. Pendant cette même nuit, Louise de Colligny tenta de pénétrer chez Maurice; on lui dit que Maurice dormait. Le bon Du Maurier essayait en vain de réunir les états; il écrivait une lettre qui reste aux archives de La Haye, implorant la grâce de Barneveld.

Le Binnenhof était rempli dès le matin de milliers de spectateurs. A neuf heures et demie, Barneveld fut amené sur un plancher de bois qui avait été échafaudé à la hâte devant le palais. Il jeta les yeux autour de lui, demanda s’il n’y avait point un coussin, puis s’agenouilla tout de suite sur le plancher. « Son domestique, raconte M. Motley, qui le servait avec autant de calme et de tranquillité que s’il eût été à table, le tenait par un bras. On remarqua que ni le maître ni le valet, en vrais stoïques et Hollandais, ne versèrent pas une larme sur l’échafaud.

« La Molle pria un quart d’heure, l’avocat étant toujours à genoux. Il se leva ensuite et dit à Jean Franken : « Vois qu’il ne vienne pas trop près de moi, » en lui montrant le bourreau, qui se tenait en arrière avec sa grande épée à deux mains. Barneveld alors déboutonna