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une série de dédoublemens successifs, il aboutissait à l’acide carbonique et l’eau; il sortait alors, sous cette forme nouvelle, par la surface pulmonaire et retournait à l’atmosphère.

Les physiologistes reprochent aux chimistes de leur montrer les choses telles qu’elles pourraient être, mais non point telles qu’elles sont. C’est ici le cas. Rien de plus logique que l’explication précédente, rien de moins exact. La théorie de Liebig, sa division des alimens en alimens plastiques et alimens respiratoires, aujourd’hui battue en brèche de tous côtés, ne peut plus subsister. Pour ce qui concerne l’alcool, c’est en 1860 que le travail remarquable de MM. Lallemand, Perrin et Duroy vint attaquer de front la théorie classique. Ces observateurs ont trouvé l’alcool en nature dans le sang et dans le tissu des principaux organes; ils n’ont aperçu ni les produits intermédiaires de l’oxydation prétendue, ni les produits ultimes; la température du corps ne s’élève pas, et l’acide carbonique expiré n’augmente point. L’alcool, disent-ils, n’est donc pas un aliment : il ne subit point de transformations dans l’organisme; il s’élimine sans s’oxyder, après avoir séjourné dans les différens organes et provoqué par son seul contact les actions irritantes qui se manifestent par le délire de l’ivresse et les délabremens de l’alcoolisme chronique.

La discussion n’est pas encore close aujourd’hui. Il est probable qu’une très petite proportion d’alcool sert à l’alimentation, la plus grande étant éliminée en nature, comme le veut la théorie nouvelle. Le rôle alimentaire de cette substance se réduirait à peu de chose, sinon à rien : l’efficacité apparente de l’alcool pour apaiser la faim et la soif serait un effet nerveux dû principalement, sinon exclusivement, à la stimulation énergique qu’il exerce sur le cerveau. Ajoutons que la réputation stomachique et apéritive dont l’alcool jouit auprès des buveurs est tout aussi usurpée que sa réputation nutritive. A dose concentrée, M. Claude Bernard a montré que cette substance arrêtait toutes les sécrétions intestinales et suspendait la digestion. Aussi l’alcoolique invétéré mange-t-il très peu. Les journaux ont, l’an dernier, signalé la mort d’un ancien sous-officier d’artillerie adonné à l’absinthe; ce malheureux en était arrivé à ne plus prendre d’alimens que de loin en loin, et en si petite quantité que ses voisins l’avaient surnommé « l’homme qui ne mange pas. » Dans les vins, surtout dans les vins fins à bouquet, l’influence fâcheuse de l’alcool est combattue par celle des substances empyreumatiques et éthérées qui activent les sécrétions et précipitent la digestion. Dans les vins plats au contraire, l’action antistomachique subsiste seule et sans contre-poids.

Les désordres que l’alcool fait naître dans l’organisme qui lui est livré sont infiniment variés, Pour suivre ce long enchaînement