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vention maladroite n’était pas dépourvue d’hostilité envers les Russes, qui commençaient d’aborder les souverains de la Transoxiane avec beaucoup plus d’adresse sinon avec plus de succès.

A partir de cette époque, Nasroullah n’eut plus affaire aux Européens, bien que son règne se soit prolongé jusqu’en 1860. Il ne cessa de guerroyer tantôt contre les Ousbegs de Khiva, tantôt contre les Mogols de Khokand, sans toutefois réussir dans ses entreprises. Plus il vieillissait, et plus il se montrait cruel. Peu de jours avant sa mort, il apprit que son vassal, l’émir de Sheri-Sebz, qui s’était tant de fois déclaré indépendant, venait enfin d’être fait prisonnier. Il donna l’ordre de le mettre à mort, ainsi que tous ses enfans; puis, non content de cette vengeance, il fit couper la tête sous ses yeux à la sœur de cet émir, sa propre femme, dont il avait eu deux enfans. Ce fut sur cette sanglante tragédie qu’il rendit le dernier soupir. L’Asie centrale, au temps de ses plus fameux conquérans, avait peut-être connu des tyrans plus sanguinaires; elle n’en avait pas eu de plus inhumains.

Mozaffer-Eddin, qui était appelé au trône par la mort de son père Nasroullah, avait eu une jeunesse studieuse. Au milieu de la décadence générale des études et de la corruption des mœurs, il passait pour un musulman instruit ; il se plaisait dans la société des mollahs plus qu’à la vie des camps. Une fois tout au plus, vingt ans auparavant, l’avait-on soupçonné de conspiration contre l’émir défunt. Celui-ci, qui s’en défiait beaucoup, l’avait toujours maintenu dans une situation subalterne et ne lui avait jamais confié de grand commandement. Malgré ces apparences modestes, Mozaffer-Eddin n’eut pas plus tôt pris le souverain pouvoir qu’il se montra presque aussi cruel que son père et tout autant désireux de signaler son règne par de vastes conquêtes. Il continua la guerre contre les rebelles de Sheri-Sebz, il reprit les hostilités contre les Khokandiens; derrière ceux-ci, il allait se heurter bientôt aux Russes, qui s’avançaient à grands pas dans la vallée du Yaxartes.

Ce n’est pas ici le lieu de raconter par quelle suite d’événemens le tsar en est arrivé à mettre une garnison dans Samarcande et à imposer aux khans de Bokhara et de Khiva des traités de paix qui transforment ces souverains jadis puissans en simples vassaux de l’empire russe. Ce récit trouvera place plus tard. Rappelons seulement les dates principales. En 1853, le général Perofsky s’était emparé d’Ak-Mesdjid, forteresse importante qui commande le cours du Yaxartes. Après un temps d’arrêt imposé par la guerre de Crimée, les Russes s’établirent un peu plus loin, à Tachkend, grande ville commerçante. Mozaffer-Eddin se dit à cette époque que le khan de Khokand, dont il se prétendait le suzerain, avait droit à sa pro-