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belges ? Est-ce qu’il ne s’est pas laissé emporter par ses impatiences de domination en se jetant, à l’occasion des dépêches du général Govone sur les affaires de 1866, dans cette guerre de gros mots, dans ces tentatives de pression, où il a cru n’atteindre que le général de La Marmora et où il a sûrement atteint le sentiment national italien ? M. de Bismarck, c’est entendu, est le meilleur ami, le plus sûr allié de l’Italie, à la condition que l’Italie obéissante se hâte de lui donner ou de lui promettre des lois pour réprimer les indiscrétions du général de La Marmora, et aussi à la condition que lui-même il garde le droit de mesurer à l’Italie les égards qu’il lui réserve en omettant jusqu’à la mention du voyage de Victor-Emmanuel à Berlin dans les discours de l’empereur Guillaume au parlement allemand et au parlement prussien. M. de Moltke a raison de parler des méfiances !

Voilà donc la situation que l’Allemagne s’est faite et dont la rançon est un état militaire formidable, qu’on promet ou qu’on signale comme une nécessité pour un demi-siècle. Sans doute M. de Bismarck est habile, il ne va pas toujours au bout de ses emportemens ; il désavoue ses tentatives dès qu’il en voit le malencontreux effet, il s’adoucit à l’égard de l’Italie ou de la Belgique, et, s’il le faut, il invoque comme garantie de ses dispositions pacifiques ces alliances impériales dont il sait se faire une arme ou un bouclier. Il manie la prépotence avec dextérité ; mais enfin la situation est ainsi, et s’il y a partout des inquiétudes, des malaises, malgré toutes les précautions qu’on prend pour protéger la paix publique, la France n’y est positivement pour rien ; ce n’est point à elle qu’on pourrait dire qu’elle est le trouble-fête de l’Europe. La France vit pour le moment retirée en elle-même, et cette réserve, elle la garde jusque dans des affaires qui pourraient cependant la toucher. Certes rien n’était mieux fait pour remuer une nation au sang vif, au cœur ardent, tout endolorie encore de ses blessures, que cette scène de la première apparition des députés de l’Alsace-Lorraine au parlement allemand à Berlin. Ils sont allés là tous ces élus, laïques, évêques ou prêtres, choisis indistinctement pour représenter la fidélité de ceux qui les ont nommés à leur ancienne patrie, à la France, L’un d’eux, celui qui a si bien dit à l’Allemagne ce qu’elle aurait pu faire, M. Teutsch, député de Saverne, s’est chargé d’exprimer pour tous les sentimens de l’Alsace et de la Lorraine ; il s’est fait éloquemment l’organe de la pensée commune. Seul, l’évêque de Strasbourg, M. Rœss, a cru devoir faire exception en intervenant à l’improviste comme pour affaiblir la protestation de M. Teutsch par une reconnaissance directe et personnelle du traité de Francfort qui a décidé diplomatiquement l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne. Le traité de Francfort ! la présence des députés de l’Alsace à Berlin en prouvait assez l’existence, le prélat n’avait pas l’obligation de mettre sa propre signature au traité ; il