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enlacent des feuilles de bambou assemblées en nattes grossières. Quant à l’aspect de la ville en général, elle fit au narrateur l’effet d’un véritable charnier humain. Les rues étaient ensanglantées sans cesse par des meurtres ou des actes de justice du roi ; du 20 au 28 octobre, après la mort d’un parent du monarque, notre voyageur a compté et inscrit sur son journal plus de 110 victimes sacrifiées sous ses yeux ou à sa connaissance.

L’esprit guerrier est naturellement très développé chez les Achantis : beaucoup ont de très lourds fusils fournis par les comptoirs hollandais, d’autres possèdent déjà des carabines Enfield. Dans l’une des dernières rencontres, un soldat de la milice indigène employée par les Anglais a été tué par un Achanti à une distance qui indique la possession d’armes à grande portée et une manière pratique de s’en servir. Quand pour leurs fusils de gros calibre le plomb fait défaut, ils trouvent commode de les remplir avec des cailloux. Les soldats ordinaires sont presque nus ; ils portent plusieurs couteaux suspendus à un collier et de plus l’arc et la lance. Le costume d’un chef consiste en une sorte de casque formé de cornes de cerf dorées, surmonté de plumes d’aigles et qui s’attache sous le menton ; des queues de cheval pendent de ses bras, sa poitrine est couverte de plusieurs sacs de cuir, et des bottes de peau rouge lui vont jusqu’à mi-cuisse. Les princes (cabocir) montent à cheval, et portent une ombrelle comme signe de leur rang.

Plusieurs écrivains anglais estiment à 1 million la population totale du royaume des Achantis, et 200,000 hommes, c’est-à-dire un cinquième, seraient en état de prendre les armes. La capitale Coumassie, qui a, dit-on, près de 50,000 habitans, n’est éloignée de Cape-Coast en ligne droite que d’environ 130 milles anglais ou 200 kilomètres, mais les nombreux détours de la route qui y mène portent la distance à 300 kilomètres au moins. Cette voie n’est, à vrai dire, qu’un sentier large de deux pas, bordé de chaque côté d’arbres à feuillage touffu, ce qui fait qu’après une légère pluie, ou même après une rosée un peu abondante, les habits du voyageur sont trempés littéralement dès la première heure de marche. La ville est située sur une éminence qu’une large rivière marécageuse baigne de tous les côtés, sauf au nord. Le pays est plat et couvert de forêts ; à 5 ou 6 kilomètres au sud de Coumassie est une vaste savane dont l’herbe dense et touffue atteint 3 mètres de hauteur. Dans la saison sèche, il suffirait de quelques brandons enflammés pour défricher le terrain ; c’est le système dont on se sert dans l’Indo-Chine lorsque les colons veulent assainir et préparer pour la culture de grandes étendues couvertes d’un jonc élevé, ondoyant comme la mer clés que souffle la bise, et que les Indiens appellent coconal.