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sait pas d’être l’amant de Laïs. L’exemple des Grecs commençait donc à gagner les Romains ; on s’habituait, à ce qu’il semble, à ce partage de la vie qui existait chez eux entre la courtisane et l’épouse légitime, et Antoine avait osé traverser toute l’Italie suivi de deux litières dont l’une portait sa femme et l’autre Cythéris.

Les Romains s’arrêtèrent pourtant sur cette pente. Malgré de grands déréglemens, ils ne sont jamais arrivés tout à fait à cette facilité des mœurs grecques qui met l’épouse et la courtisane à peu prés sur la même ligne. Ce qui ne fut pas inutile à les préserver de cet excès, c’est l’habitude que prirent alors les femmes de ne pas s’occuper seulement des devoirs sérieux de la vie et de rechercher aussi les agrémens plus futiles que l’opinion semblait leur interdire. En remplaçant leur raideur ancienne par des manières plus aisées, en se permettant d’apprendre la danse et le chant, en devenant plus sensibles aux jouissances des lettres et des arts, en osant sortir de leur intérieur sévère pour se mêler plus souvent aux réunions du monde, elles désarment les courtisanes de leurs plus puissantes séductions. Le Romain qui pouvait trouver réunies chez sa femme des qualités que le Grec divisait était moins tenté de les chercher ailleurs. De tout temps, il y avait eu des matrones qui avaient voulu s’affranchir de cette réserve que les préjugés leur imposaient. On en avait vus même aux époques où les mœurs étaient le plus sévères, qui essayaient de se donner un peu plus de liberté et qui osaient acquérir des talens suspects. Vers le IVe siècle, la vestale Postumia fut accusée d’avoir manqué à ses devoirs ; la seule raison qu’on avait de le croire, c’est qu’elle se mettait trop bien et qu’on lui trouvait un esprit trop enjoué : ce goût pour la parure et pour la gaieté la faisait soupçonner de tous les crimes. Elle fut pourtant acquittée mais le grand pontife, en la rendant à ses fonctions, eut soin de lui recommander de mener désormais une vie plus grave et d’accomplir son ministère « plutôt comme une sainte femme que comme une personne d’esprit. » On était devenu bien moins rigoureux vers la fin de la république. Le nombre des femmes mieux élevées, plus instruites, était alors beaucoup plus considérable. Plutarque nous dit de Cornélie, qui avait épousé Pompée, « quelle était lettrée, jouait de la lyre, connaissait la géométrie, et pouvait écouter avec fruit des conversations philosophiques. » Il ajoute « qu’elle avait su se préserver des défauts que n’évitent pas toujours les jeunes femmes qui sont versées dans ces études, l’exagération et le pédantisme. » Il est probable que Cornélie dissimulait ses talens pour ne pas soulever contre elle les préjugés anciens, et la plupart des femmes qui se respectaient faisaient comme elle. D’autres se moquaient ouvertement de l’opinion et vi-