Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agit, de cette loi d’évolution qui fait de l’homme le dernier terme et comme l’épanouissement de l’arbre de la vie ? Évidemment non. Ce sont là des questions d’histoire naturelle et d’anatomie comparée qui n’appartiennent pas à la philosophie sociale. S’agira-t-il du progrès religieux de l’humanité ? Pas davantage, si ce n’est incidemment et par occasion. Il y a là tout un ordre de problèmes transcendans entièrement différens de ceux dont nous allons nous occuper. Nous avons cru devoir circonscrire notre sujet à la sphère de l’activité humaine, scientifiquement étudiée sous sa triple manifestation, la science, la morale et l’art. Encore là notre tâche a dû se restreindre : elle se partageait naturellement entre deux questions, celle des élémens du progrès et celle des lois de variation qui le régissent selon les différens âges et les différens peuples ? Cette seconde question, qui assurément n’est pas la moins intéressante, nous avons dû l’ajourner pour ne pas réduire cette étude à une esquisse trop rapide et superficielle. Le problème, bien vaste déjà que nous nous sommes proposé est celui-ci : quelles sont les facultés de l’espèce humaine qui sont susceptibles de développement ? Le progrès s’étend-il à tous les élémens de la vie sociale, et là où il se réalise peut-on le concevoir comme illimité ?


I

Le progrès existe ; mais dans quelle mesure ? et tout d’abord qui peut déterminer cette mesure ? C’est là une première et grosse difficulté à résoudre. Comme le remarque M. Bagehot, même dans le monde animal, il n’y a pas de règle absolue acceptée par les physiologistes qui nous permette d’affirmer que tel animal est plus ou moins élevé que tel autre ; il y a encore bien des discussions à ce sujet. A plus forte raison dans les combinaisons infiniment plus complexes des êtres humains, dans les sociétés, il sera probablement difficile de s’accorder sur un critérium qui nous permette de dire quelle race est en avance sur une autre, ou à quelle époque une nation marchait en avant, à quelle époque elle reculait. « L’archevêque Manning adopterait une règle de progrès et de décadence ; le professeur Huxley, sur les points les plus importans, en prendrait une tout opposée : ce que l’un considérerait comme une marche en avant serait considéré par l’autre comme un recul. Chacun d’eux a un but distinct auquel il tend, un malheur déterminé qu’il redoute ; mais ce que l’un désire n’est guère éloigné de ce que craint l’autre. » En mettant provisoirement de côté ces élémens de controverse éternelle, reste-t-il au moins quelque chose qui soit « comme un progrès vérifiable, c’est-à-dire un progrès qui soit admis comme