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Volga entre autres, il n’est pas rare de voir des filles ou des femmes se baigner sans costume dans des endroits peu écartés. Si dans le nord le tempérament est plus froid, si, comme on le dit, les sens y sont plus émoussés, il y a souvent aussi moins de délicatesse dans les sensations et dans les sentimens,


II

L’influence directe du climat sur l’organisme et sur les habitudes, sur les conditions physiques et économiques de la vie, n’est pas la seule, et, pour être la plus apparente, n’est pas toujours la plus profonde. La nature exerce indirectement une action considérable sur les idées, sur les sentimens, sur le caractère tout entier, par les passions qu’elle provoque et les facultés qu’elle met en jeu. La première remarque que suggère le sol de la Grande-Russie, c’est que la vie y est plus que partout ailleurs une lutte contre le climat, lutte corps à corps contre un ennemi toujours présent et jamais vaincu. Sous ce ciel, l’homme ne peut, comme dans nos climats tempérés, oublier son adversaire ; il n’en peut triompher complètement, et, tout en lui disputant pied à pied le terrain, il doit souvent céder à une force supérieure. De là plusieurs des traits en apparence opposés du caractère national russe. Cette guerre est une école de patience, de résignation, de soumission, en même temps que de persévérance et d’énergie. Ne pouvant rejeter de sa tête le joug de la nature, le Grand-Russe a supporté plus patiemment celui de l’homme ; le premier l’a plié au second. La tyrannie du climat l’avait préparé à celle que lui a imposée l’histoire. Tout son effort étant de vivre, le despotisme lui a paru moins lourd. Il ne faut point adopter sans distinction l’ancienne théorie qui vouait les peuples du nord à la liberté, ceux du sud à la servitude. A une certaine latitude, dans un ensemble donné de conditions physiques, le nord peut courber les âmes comme les corps, et la civilisation seule être capable de les redresser. Le grand avantage du nord est que chez lui cette efficacité libérale de la civilisation est toujours possible, tandis que dans les contrées tropicales : le succès final même en est douteux.

Une des qualités que le climat et la lutte contre la nature ont le plus développées chez le Grand-Russien, c’est le courage passif, l’énergie négative, la force d’inertie. L’endurcissement au mal est depuis longtemps l’idéal populaire du Grand-Russe. Ce sentiment se fait jour dans un vieux jeu national, une sorte de lutte à coups de poings qui, au lieu d’un assaut de force ou d’adresse, était un assaut de patience, le vainqueur étant non pas celui qui terrassait son adversaire, mais celui qui recevait le plus de coups sans demander grâce. La vie, d’accord avec l’histoire, a formé le Grand-Russe à