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complexité, a entrepris de faire de la sociologie une dépendance et comme la dernière province des sciences naturelles, et de la loi de. progrès, qui est la loi des sociétés humaines, une simple dérivation de la loi universelle de la vie. « De quelque façon, nous dit-on, que l’on envisage les sociétés, soit dans leur groupement actuel sur la face du globe, soit dans leur enchaînement le long du passé, on y reconnaît un mouvement intérieur et spontané qui les porte d’un état inférieur à un état supérieur. Cela est vrai pour l’ensemble, quels que soient les accidens qui surviennent à des peuples particuliers, et quelques perturbations que subisse la trajectoire de la civilisation[1]. » Ce mouvement intérieur est précisément ce qu’en langage ordinaire on appelle le progrès ; mais le mot d’évolution doit être préféré, nous dit-on, parce qu’il marque mieux le caractère de ce mouvement, qui est un phénomène naturel. L’histoire a pour théâtre les sociétés ; les sociétés sont composées d’êtres humains, doués de vie, d’instincts, de facultés. Cette vie, ces instincts, ces facultés, se développent suivant une loi qui leur est inhérente. Et de même que dans chaque corps vivant réside une force évolutive qui le fait passer de la simplicité apparente de l’état embryonnaire à la forme de la vie la plus compliquée, revêtue de tous ses appareils distincts et subordonnés, ainsi dans le corps social réside une force analogue, mais infiniment plus complexe, composée de toutes les forces de la vie individuelle, physiques et mentales, qui produit le développement de chaque société et l’élève de l’état inférieur aux états supérieurs par un mouvement inhérent et continu.

C’est le déterminisme physiologique appliqué à l’histoire. La croissance du corps social est un effet de cette force évolutive qui émane de toutes les vies individuelles, élémens de la vie collective. L’histoire des sociétés offre une série cohérente d’enchaînemens exactement liés entre eux et mesurable par une sorte d’échelle graduée, soit sur le développement des arts industriels, soit sur celui des connaissances positives. Ce développement lui-même est le produit nécessaire des facultés inhérentes à chaque individu ; ces facultés ont leurs causes primordiales, leurs ressorts moteurs cachés dans les profondeurs de l’organisme, où la science positive a déjà plus d’une fois essayé de les saisir. Le progrès n’est donc, au fond, que la résultante des forces organiques et des conditions du milieu dans lequel elles se développent. Ainsi disparaît dans cette philosophie fataliste ce qui fait l’intérêt dramatique et passionné de l’histoire, le jeu des spontanéités libres, l’intervention des énergies héroïques et des inspirations sublimes, l’essor inattendu des initiatives qui coupent la série des phénomènes, et surtout l’action profonde,

  1. M. Littré, la Science au point de vue philosophique.