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empêcher d’agir contre le droit. Le particulier réclamait-il un juge, il rencontrait parfois à ce tribunal extraordinaire, sous la robe du magistrat, un pur administrateur ne transigeant pas sur l’autorité de son corps, infatué de sa juridiction, plus jaloux de maintenir les habitudes d’une fiscalité tracassière ou d’un bureau inquisitorial que de rechercher ce que pouvaient avoir de juste et de fondé les requêtes qui lui étaient adressées.

Le mal finit par l’emporter sur le bien, et c’est à cela qu’on doit attribuer le succès de la transformation qui s’opéra dans le système administratif aux deux derniers siècles de l’ancienne monarchie. Le pouvoir judiciaire devait succomber sous les attaques répétées du pouvoir administratif ; la centralisation royale allait faire un second pas en avant et un pas de géant. Les seigneurs féodaux avaient été désarmés et soumis. Ce fut ensuite le tour des cours de justice, des juridictions locales et extraordinaires : elles se raidirent maintes fois contre les étreintes des agens du pouvoir central ; elles luttèrent avec moins de vigueur, mais non moins de persistance, contre des envahissemens qui furent parfois suspendus, jamais arrêtés ; elles s’unirent aux derniers défenseurs du régime féodal, et firent cause commune avec ceux dont elles avaient été longtemps les adversaires. Ce fut en vain, et, quand le mouvement de 1789 éclata, leur destruction était devenue inévitable. L’absolutisme monarchique s’était comporté envers elles comme il avait fait à l’égard des forteresses seigneuriales, qu’il s’était borné d’abord à démanteler. Il ne laissait debout que des ruines qui dessinaient encore la forme des anciennes institutions judiciaires, mais où ne pouvaient plus s’abriter ceux qui y cherchaient un refuge, une vieille construction dominant le pays d’alentour sans pouvoir le défendre.


ALFRED MAURY.