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appris à siffler une valse allemande. Quand on l’eut introduit dans une chambre où étaient réunis des oiseaux captifs, et dès qu’il eut exécuté son air favori, linottes et canaris femelles s’approchèrent et prêtèrent l’oreille avec la plus curieuse attention. Aussi certains mâles montrent-ils une ardeur extraordinaire à vaincre leurs rivaux dans le combat du chant, et l’on voit tel oiseau bien doué s’épuiser à chanter jusqu’à tomber raide mort.

Il importe de noter que l’aptitude musicale des oiseaux se manifeste avec plus d’éclat pendant les mois d’appariage. Il en est de même de leur penchant à déployer les ornemens souvent magnifiques dont ils sont décorés. Ils savent exécuter des parades d’amour, des danses, des marches cadencées pendant lesquelles une coquetterie innée fait onduler leurs formes souples et chatoyer l’écrin de leur plumage. Il en est qui vont jusqu’à construire des jardins voûtés en berceau, parés de plumes, de coquilles et de feuilles, à l’ombre desquels ils cherchent à retenir et à charmer l’objet de leur tendresse. Ce sont bien des habitations de plaisance, destinées à produire l’enchantement par l’admiration, puisque les nids sont placés plus haut sur les arbres. Au reste les moyens de séduction des oiseaux sont merveilleusement divers; mais ils savent qu’ils les possèdent et s’en servent avec un art infaillible. Le faisan tragopan dilate à propos les appendices charnus de sa tête. Le calao africain gonfle la caroncule écarlate de son cou en même temps qu’il étale sa queue et laisse traîner ses ailes comme des draperies. Il est constant que chez beaucoup d’oiseaux le plumage d’été n’est qu’un ornement nuptial, et ce fait suppose l’existence du sentiment esthétique chez le mâle aussi bien que chez la femelle.

En suivant sa marche ascendante, en s’élevant des oiseaux aux mammifères, la doctrine de la sélection sexuelle fondée sur la puissance du sens esthétique devrait acquérir une certitude croissante. Le lecteur, qui s’y attend, est un peu déçu. Les faits sont moins saisissans; ils se groupent en faisceau avec moins de complaisance; ils jettent l’esprit du savant anglais dans l’embarras, quelquefois dans le doute. Il reste néanmoins fidèle à sa thèse, mais on sent que c’est à force de souplesse et de dextérité. Voici qui est plus grave encore. « Chez les mammifères, dit M. Darwin, le mâle paraît obtenir la femelle bien plus par la puissance déployée dans le combat que par l’étalage de ses ornemens et de ses charmes. » N’est-ce point surprenant? A mesure que l’intelligence grandit, il se trouve que la force brutale devient prédominante. Comment une telle contradiction n’a-t-elle pas frappé l’habile et avisé zoologiste? Quoi qu’il en soit, son argumentation en souffre et sa conception en est sensiblement affaiblie. On va s’en apercevoir.