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— Au revoir, répondit la créole, qui le salua d’un doux regard. Tu rentres avec moi? demanda-t-elle à son mari.

— Non; la señora Wilson part cette nuit, et je vais lui faire mes adieux.

— Ces adieux seront-ils si longs que je ne puisse t’attendre? Va et reviens, j’ai des confidences à te faire.

Don Luis parut hésiter. — Pars, dit-il, je ne retournerai que demain à Santa-Rosa.

— Au revoir, señor, dit la créole à l’attaché d’ambassade, qui, ayant suivi les deux époux, les saluait de nouveau.

Doña Lorenza sentit son mari tressaillir. Elle monta dans son palanquin. — Adieu, lui dit-elle.

Il la regarda longuement et répondit : — Au revoir.

Au moment où les porteurs se mirent en marche, une rafale brûlante passa sur la ville; le redoutable vent du sud se déchaînait enfin, balayant de Vera-Cruz à Puebla les plaines et les sommets. Lorsque doña Lorenza s’engagea dans les bois d’orangers, onze heures sonnaient aux clochers de Cordova. Les arbres, secoués furieusement, heurtaient leurs branches avec fracas. Le souffle embrasé dont l’apparition sur les côtes mexicaines est aussi redoutée que celle d’un ouragan faisait au loin mugir l’air, et chassait devant lui des flots de poussière, des amas de feuilles et de rameaux.

Rentrée chez elle, doña Lorenza, sans se dépouiller de sa parure, s’enveloppa d’une écharpe. D’une voix impérieuse, elle ordonna de placer dans le salon deux lumières protégées par des garde-brise, et fit appeler les métisses attachées à son service. — Restez là, dit-elle en leur montrant le fond de l’appartement, et quoi que vous entendiez, quoi qu’il arrive, que pas une de vous ne bouge.

La jeune femme, d’un pas rapide, saccadé, parcourait sans cesse la vaste pièce; on eût dit une lionne en cage. Ses beaux traits avaient une expression de douleur, sa bouche était crispée, ses yeux, fixes et durs, paraissaient agrandis. Jamais ses femmes ne l’avaient vue ainsi; pressées avec terreur l’une contre l’autre, elles regardaient leur maîtresse aller, venir, ne s’arrêter que lorsqu’une rafale passait sur la vallée et tourbillonnait en sifflant d’une façon lugubre autour de l’antique demeure.

En dépit de l’ouragan, la créole alla se poster sur le balcon. Le ciel était bleu, la lune venait de disparaître, et la lueur des étoiles, lueur intense sous les tropiques, éclairait vaguement la petite vallée. Les rafales, de plus en plus pressées, furieuses, devenaient effrayantes; le souffle passé, régnait un silence profond; mais bientôt des profondeurs de l’horizon partait une sourde clameur, comme si mille voix plaintives gémissaient au loin. La clameur grandissait,