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de l’été, à mesurer rigoureusement le temps du travail. Au sud, où la végétation s’épanouit toute l’année, il est inutile de mettre en œuvre tant d’énergie et de vigilance…

« Après un accès de fièvre ou deux, le planteur du nord commence à comprendre qu’on ne travaille pas sous un soleil tropical comme dans les montagnes du nouvel Hampshire, et il finira par louer volontiers Cudjo ou Pompée pour labourer ses champs, bien qu’ils ne labourent pas aussi vite que des fermiers du nord. »

Quant aux mœurs des nègres de la Floride, Mme Stowe n’hésite point à affirmer que des blancs qui pendant deux ou trois générations auraient travaillé sans gages et sans avoir le droit de se former légalement une famille sortiraient de l’épreuve pires que leurs frères noirs. Elle montre les débris de l’esclavage se purifiant au baptême de l’émancipation, le goût du travail et de l’épargne faisant de tels progrès que dans la seule année 1872 la caisse des affranchis (the Freedman’s Savings and Trust Company), institution patronnée par le gouvernement, a reçu des cultivateurs nègres des divers états du sud la somme de 31,264,499 dollars ! — Elle montre les anciennes plantations renouvelées et perfectionnées peu à peu, sans que l’on brave trop ouvertement la routine, car les nègres, comme tous les gens sans éducation, sont de grands conservateurs. Il ne faut les détourner que graduellement et sans qu’ils s’en doutent des vieilles coutumes. La coutume nouvelle la plus difficile à acclimater paraît être le mariage : Moïse dit qu’il a une femme dans la Virginie, une autre dans la Caroline, et qu’il ne sait trop celle qu’il préfère ; Mandy prétend de son côté ne pouvoir se marier faute du voile de dentelle qui lui paraît faire partie essentielle du sacrement, bien qu’il soit difficile de se figurer voilée de blanc Mandy, qui porte un chapeau d’homme à l’ordinaire. Cela ne les empêche pas de vivre décemment en famille et de se réunir pour des chants religieux.

Cependant, s’il est difficile de réformer des gens élevés dans l’ignorance, la réforme se fera sans peine par les enfans, dont le vif esprit s’ouvre à tout ce qu’on y veut semer. Mme Beecher Stowe termine en répétant que la prospérité des états du sud dépend en grande partie de l’éducation de la population noire. — Soit ! elle nous l’a dit souvent déjà et nous ne doutons ni de sa sincérité, ni de ses bonnes intentions ; aussi eût-il été plus nouveau et plus intéressant de nous parler de la Floride, de nous initier aux mystères des hammocks, des savanes, des terres à pins, des everglades, où l’agriculture et l’industrie ont à faire de si belles conquêtes. Peut-être croit-elle naïvement que les deux chapitres intitulés de la vente des terrains et notre expérience en fait de récoltes suffisent à combler cette lacune. Le fait est qu’elle a préféré revenir à son éternelle apologie de la race nègre assaisonnée d’anecdotes comico-sentimentales sur Cudjo et Minnah, d’historiettes