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quefois dans le parlement anglais. Les occasions ne manquaient pas, il y avait la proposition sur la prorogation, il y avait la loi présentée par le garde des sceaux pour attribuer à la commission de permanence le droit d’autoriser les poursuites contre les journaux qui attaqueraient l’assemblée. On a préféré une lutte en règle sous la forme d’une interpellation solennelle, et on a eu une discussion théorique, académique, où M. Jules Favre, selon son habitude, a déployé une habile éloquence, mais où en définitive il n’est arrivé à rien, si ce n’est à faire un discours d’opposition de plus, un discours naturellement trop modéré pour les radicaux, trop agressif pour les conservateurs, trop subtil ou trop vague peut-être pour le public. Par un artifice de langage qui était certainement calculé, M. Jules Favre, qui suspecte les tendances monarchiques du ministère, a entrepris de prouver que la révolution du 24 mai n’était pas ce qu’on croyait. Il a prétendu que dans l’ancien gouvernement l’éclat de la personnalité de M. Thiers voilait peut-être trop la république, que le régime nouveau avait été la consécration de la majesté du principe républicain ; mais alors de quoi se plaint-il ? Que lui faut-il de plus ? Si la république a triomphé le 24 mai, si le gouvernement né ce jour-là est venu au monde pour mettre volontairement ou involontairement dans tout son lustre, « dans sa pureté et dans sa force politique » le principe républicain, il doit être satisfait. M. Jules Favre n’est pourtant pas satisfait ; il est allé ramasser un certain nombre de journaux, de discours, les uns poursuivant d’injures M. Thiers, les autres manquant de respect à la république ou à ceux qui l’ont représentée, et il a sommé le ministère de se prononcer, de dire s’il approuvait ou s’il désavouait toutes ces manifestations. M. Jules Favre fait là vraiment des questions fort étranges.

Quoi donc ! un journal aura l’indignité d’outrager l’ancien président de la république, un autre dira que l’empire est relevé, qu’il est debout, un troisième fera le procès de la révolution en proclamant l’autorité infaillible du Syllabus en politique comme dans tout le reste, et il sera absolument nécessaire de mettre le gouvernement en demeure de dire ce qu’il en pense ! Sérieusement, depuis quand un gouvernement est-il responsable de tout ce qui paraît dans les journaux, même dans les journaux prétendus officieux qui sont censés le défendre, et qui ne lui rendent le plus souvent d’autre service que de le compromettre ? Tenez, pas plus tard que cette semaine un journal de province supérieurement informé a raconté d’un ton mystérieux que les choses les plus graves se passaient à Versailles, qu’une grande partie de l’armée d’Afrique venait d’arriver clandestinement, — bien entendu clandestinement pour tout le monde sauf pour le correspondant du journal, — que les officiers en étaient à se demander avec anxiété ce qu’on attendait d’eux ! Si ce fait mémorable et aussi sérieux que clandestin avait été connu le jour de l’interpellation, M. Jules Favre aurait-il jugé utile