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— c’est l’acte d’un héros ? mais, si on le sacrifie de force et sans son consentement, ceux qui le sacrifient usurpent le nom de juges, ils sont des bourreaux.


IV

Avec le livre de M. Fouillée, nous entrons dans une tout autre sphère. Personne n’a mieux senti que cet auteur la faiblesse incurable du déterminisme dans tous les problèmes de l’ordre social, et cette nécessité où il est réduit, en l’absence de tout droit réel, d’employer la force contre des individus plutôt malheureux que coupables, de défendre l’intérêt de tous contre la violence de quelques-uns. Ce n’est pas à lui que peut suffire cette justification matérielle et physique de la peine, résultant des rapports sociaux tels qu’ils existent en fait. Nous serons donc facilement d’accord avec l’auteur sur le fond des choses, à la condition cependant d’interpréter sa pensée sur certains points obscurs, et de la compléter sur d’autres où pourraient se produire de regrettables malentendus.

Un des plus curieux de ces malentendus, par lesquels s’est signalée l’étourderie de la critique contemporaine, est celui qui consiste à faire de M. Fouillée un partisan du déterminisme, contre lequel il a écrit son livre. Cet ouvrage, quand il a paru il y a quelques mois, a eu cette bonne ou cette mauvaise fortune de soulever une polémique passionnée dans laquelle il semblerait vraiment que les partis se sont distribué leurs rôles, sur l’étiquette seule du livre interprété à leur fantaisie, tantôt applaudissant à contre-sens, tantôt condamnant l’auteur au rebours de toute justice et de toute vérité, lui faisant subir ainsi la double épreuve des attaques injustes qui honorent et des apologies ignorantes qui compromettent. Le moment est venu de parler de l’œuvre en toute justice, après que ce bruit frivole a cessé. La vérité est que M. Fouillée s’est ému des progrès du déterminisme, et que, passionnément épris de la liberté morale, il a entrepris de la défendre, dans l’ordre de la science comme de la conscience, contre cette redoutable propagande. Il a consacré tout un livre à cette question, comprenant bien qu’il n’en est pas, à l’heure qu’il est, de plus importante et de plus décisive dans les hautes régions de la pensée, et que la destinée morale du monde en dépend. Il l’a vaillamment abordée après de longues et fécondes méditations, avec les ressources accumulées d’une vaste érudition, avec une force dialectique déjà éprouvée dans de remarquables travaux sur Socrate et Platon, enfin avec un rare talent d’écrivain. La méthode, sur laquelle les lecteurs superficiels ont pu se tromper, était neuve et savante. Par une manœuvre hardie, il s’est placé au cœur même du déterminisme pour l’élever