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C’est au milieu de ce petit royaume, où il règne en maître, qu’Egna est rentré silencieux sur l’ordre du souverain, laissant à Kamakoura sa jeune femme, qu’il ne doit peut-être plus revoir. Sa famille l’a reçu avec les marques de respect qu’elle doit à un maître souverain. La discrétion est au Japon la première des obligations ; y contrevenir serait souvent risquer sa vie. Le prince n’a pas parlé, et si de vagues rumeurs, des paroles échappées aux gens de l’escorte, ont pu jeter dans l’esprit des habitans du château l’appréhension de choses graves, il n’en est pas prononcé un mot. Le premier karo rend compte au prince des affaires réglées pendant son absence, des emprunts contractés avec les banquiers d’Osaka sur la récolte de l’automne, des incidens survenus dans la petite province. Un seul incident est venu troubler la quiétude du château. Deux de ses habitans, Shimidzou, officier de la garde d’Egna, et la jeune Vakaïto, l’une de ses femmes, ont disparu un matin. Ces jeunes gens, épris d’amour depuis longtemps, empêchés de s’unir par la situation de la femme, avaient résolu de fuir ensemble, et, indifférens à une perspective de misère, d’aller chercher une retraite au fond de quelque campagne éloignée. Peu d’heures après leur disparition, on apprit, qu’à l’aube ils s’étaient montrés à une poterne de service qui donne accès par une passerelle sur les dehors du château. L’unique soldat de garde avait dégainé ; mais, blessé légèrement par le sabre de Shimidzou, intimidé par sa contenance résolue, il s’était laissé garrotter, puis le fugitif avait franchi avec sa compagne les dernières barrières.

Un mois se passe ; l’automne touche à sa fin. Un jour, deux officiers à cheval accompagnés d’une escorte se présentent à l’entrée principale du château. Après de longs pourparlers destinés à constater l’identité des nouveau-venus, il est rendu compte au prince que ce sont deux envoyés officiels du chiogoun. Il faut aussitôt que les ponts-levis s’abaissent, que les battans de la grande porte soient ouverts, et que les deux émissaires soient introduits avec tout le respect dû, non pas à leur rang personnel, mais à la suprématie du souverain qui les envoie. Reçus par le maître des cérémonies, les ambassadeurs font connaître à Egna qu’ils viennent