Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouverte qui va le recevoir, et rendant enfin le dernier soupir après une lutte fantastique de la vie et de la mort, où la naturel l’exaltation spirituelle déploient, pendant plusieurs jours leur étrange puissance. C’est une scène de Shakspeare dont notre illustre écrivain a tiré le parti qu’on pouvait attendre de son talent, et qui n’a d’analogue dans aucune littérature. L’histoire de Léon IX est pleine de singularités de ce genre, et non moins curieuse est la relation de sa captivité chez les Normands, pendant laquelle il releva par une austère et sainte piété la dignité de son caractère compromise et déchue par sa défaite à la guerre[1]. A part cette fatale entreprise, Léon IX redonna au siège pontifical son ancien caractère. « Il fut le premier pape, dit M. Mignet, qui agit de nouveau en pasteur universel. »

A la mort de Léon IX (avril 1054), Henri III, poursuivant son système, désigna, pour succédera Bruno d’Egisheim, un autre Allemand de grande maison, très cher à son cœur et son parent, neveu même de Léon IX, Gebehard de Calw, Souabe d’origine, évêque d’Eichstadt, proposé au concile de Mayence en mars 1055, et accepté à Rome avec applaudissement. Ce fut le sous-diacre Hildebrand[2] lui-même qui fut député par les Romains pour en faire la demande instante à l’empereur[3] qu’il fut chercher à Goslar, ce qui prouve bien que son génie savait se plier aux circonstances. L’élu de l’empereur fut le pape Victor II, lequel n’eut pas le temps d’accomplir tout le bien qu’on attendait de son crédit et de sa vertu. Muratori, d’après un chroniqueur, a cru que Victor II se fit réélire par le peuple romain et le clergé, comme on a dit qu’avait fait Léon IX ; mais je crois que l’indication du Bonizo ad amicum est erronée, et pour s’en convaincre il n’y a qu’à lire son récit, qui fourmille d’inexactitudes. Tous les autres biographes de Victor II, recueillis par Watterich, ne parlent que de la consécration romaine. Baronius-Theiner ne mentionne pas de réélection, et M. Jaffé suit le même sentiment. La politique d’Hildebrand justifie cette conduite, car Victor II donna plus de confiance encore que Léon IX à Hildebrand dans la direction de l’église. C’est lui qui l’a investi pour la première fois d’une grande mission de réforme, en Renvoyant comme légat a latere dans les Gaules, pour expulser les simoniaques

  1. Voyez Leo der Neunte und seine Zeit, de X. Hunkler ; Mayence 1851, in-8o. On voit encore non loin de Rouffach, sur les pitons des Vosges, les ruines du château d’Egisheim, où naquit Léon IX. Il en subsiste trois tours qu’on nomme les dreien Exen, et qui remontent au Xe ou XIe siècle.
  2. Sur le sous-diaconat d’Hildebrand, il a été publié un ouvrage savant qui doit être recommandé aux érudits : De Hildebrando subdiacono ecclesiœ romanes, auct. Jul. Schirmer, Berlin 1860, in-8o.
  3. Voyez Watterich, loc. cit., t. Ier, p. 183 et suiv.