Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/581

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctionnaire obtus qui se livrait à des actes pareils. Quelques sourds-muets parlent, quoique la parole leur soit antipathique et qu’ils lui préfèrent toujours la gesticulation et l’écriture. Je ne sais rien de plus douloureux à entendre ; si on les questionne, on peut reconnaître les efforts qu’ils sont obligés de faire avant de répondre, pour traduire la mimique du geste en mimique des lèvres, car pour eux la parole n’est pas autre chose, puisqu’ils ne se rendent pas compte du son qu’ils émettent. Il y en a qui, à force de labeur et de patience, parviennent à réciter une fable : ils ne parlent pas ; quelque chose parle en eux dont ils n’ont pas conscience, quelque chose de guttural, de rauque, d’inflexible. Si la mécanique parvenait à faire parler un automate, il parlerait ainsi.

Est-ce à dire qu’il faut bannir l’articulation et la supprimer de l’enseignement spécial réservé aux sourds-muets ? Non pas ; mais il faut l’appliquer avec une extrême réserve et une sagacité prévoyante : elle doit servir de complément d’éducation au malade qui a entendu et parlé aux premières années de son enfance et pour lequel le phonétisme n’est pas un mystère insondable. Celui-là pourra peut-être s’en servir et y trouver un secours dans quelques rares occasions ; mais essayer d’enseigner la parole au sourd-muet de naissance, c’est semer sur le roc ; c’est fatiguer un malheureux enfant sans profit, c’est le troubler d’une façon cruelle et peut-être dangereuse, en un mot c’est vouloir enseigner l’art de la peinture à un aveugle-né. On a été bien loin dans cette théorie, et l’on a prétendu que le tact pouvait suffire aux sourds-muets pour apprendre à parler ; cela dépasse la mesure. Le toucher remplace l’ouïe, rien n’est plus simple : on met la main devant la bouche d’un parlant, on compte le nombre de vibrations produites par chaque mot, que dis-je ? par chaque syllabe, on répète exactement le nombre des vibrations observées, on parle, et « voilà pourquoi votre fille est muette ! » La température joue un grand rôle dans cette méthode d’enseignement qu’on a essayé d’appliquer. L’auteur, dont le nom n’a pas à trouver place ici, a écrit : « Nos expériences ont démontré que le tact commence à s’affaiblir au-dessous de 10 ou 12 degrés centigrades et au-dessus de 18 ou 20 degrés. » C’est un mode d’instruction qui ne convient qu’aux saisons. moyennes ; l’hiver et l’été ne lui sont pas favorables.

Tout sourd-muet qui se sent des dispositions réelles pour l’articulation et qui croit pouvoir en tirer un bon parti, tout sourd-muet qui, ayant une intelligence plus ouverte que celle de ses compagnons, voudra pousser ses études au-delà du programme officiel, trouvera à l’institution des professeurs dévoués, très disposés à favoriser les tentatives de développement intellectuel, et qui y