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d’éclatans services, fit de Duquesne un marquis, et lui donna en 1681 200,000 livres, — juste le prix d’un des colliers de Fontanges, — pour payer la terre du Bouchet, qu’il venait d’acheter, mais à la condition expresse que ni lui ni ses enfans « ne pourraient, sous quelque prétexte que ce soit, faire dans cette terre aucun exercice de la religion prétendue réformée. » Malgré l’ardeur de son protestantisme, l’illustre marin accepta le don royal avec reconnaissance ; il en respecta les clauses, et ce fut au Bouchet qu’il passa ses derniers jours.

Le 1er février 1688, Duquesne se trouvait à Paris dans sa maison de la rue de Bourbon qu’il avait conservée après l’acquisition de son domaine. Il donnait à ses domestiques des ordres pour le lendemain lorsqu’il fut frappé d’une attaque d’apoplexie foudroyante, dont il mourut dans la nuit. L’Angleterre aurait ouvert à sa dépouille mortelle les caveaux royaux de Westminster ; mais en France il ne fallait pas songer à lui faire des funérailles solennelles ; le roi n’aurait point voulu, après la révocation de l’édit de Nantes, autoriser des obsèques qu’il eût regardées comme un scandale public. Le cercueil, placé dans un carrosse de deuil, fut transporté de nuit au Bouchet, et l’inhumation eut lieu en présence des seuls membres de la famille, dans un coin du jardin attenant au château. Une plaque de marbre, ornée d’une inscription latine, indique encore aujourd’hui la place où repose le vainqueur de Stromboli, du mont Gibel et de Sainte-Héline.

Ici nous rencontrons un fait qui montre à quel point l’aveugle ardeur du prosélytisme avait étouffé chez Louis XIV tout sentiment de justice et de convenance. Après avoir rendu, « sans aucun exercice de la religion prétendue réformée, » les derniers devoirs à son mari, Mme Duquesne s’était empressée de revenir dans la maison de la rue de Bourbon pour procéder aux inventaires et régler les intérêts de ses enfans mineurs. Elle y était à peine depuis trois jours que le lieutenant de police, de La Reynie, se présentait chez elle et lui demandait, au nom du roi, « si elle voulait se faire instruire en la religion catholique, sa majesté étant résolue, si elle ne prenait point ce parti, de la faire sortir du royaume. » Sa majesté en avait fait sortir tant d’autres qu’on pouvait s’attendre à un ordre d’expulsion. Cependant Mme Duquesne, par respect pour la mémoire de son mari, opposa aux menaces de La Reynie un refus formel. Aussitôt le ministre de la marine, de Seignelay, écrivit à l’intendant de Paris, M. de Menars : « Le roi ayant résolu d’en user à présent à l’égard de la famille Duquesne ainsi qu’il a fait à l’égard de tous les autres religionnaires opiniâtres, sa majesté m’a ordonné de vous dire que son intention est que vous fassiez incessamment saisir tous les biens qui sont dans l’étendue de votre département qui se trouveront avoir appartenu à M. Duquesne. » La saisie fut exécutée ; des garnisaires occupèrent la maison et s’y conduisirent avec la brutalité qui était l’un des attributs officiels de leurs fonctions. Menacée de l’exil et de la ruine, la