Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

infiniment supérieurs à ceux de sa muse, lesquels ne valent certainement pas le plus mauvais vin du plus médiocre plant de gamay. Je profite de l’occasion que me présentent ce clos de Crébillon et les innombrables vignes que je rencontre sur ma route pour compléter mon instruction relativement au pinot et au gamay, et j’interroge sur ce sujet le paysan qui me conduit. Il m’apprend, à ma grande surprise, que le gamay usurpateur réclame beaucoup plus de soin, plus de travail et de dépenses que le plant fin. — Mais alors, lui dis-je, pourquoi donc le cultiver avec cet acharnement ? — Ah ! voilà, me répond-il, c’est que le plant de gamay donne toujours une récolte sûre, tandis que la vigne fine, qui, à la Vérité, n’a pas besoin qu’on s’occupe d’elle, est plus sensible au froid et à la pluie. Il est bien certain qu’avec cette dernière, dont les produits n’ont pas de prix, les bonnes années compensent largement les mauvaises ; mais il faut attendre, et les petits propriétaires ne le peuvent pas. Avec le gamay, ils sont sûrs d’un revenu chaque année, tandis qu’avec le plant fin ils se passeraient souvent de rente. Cette raison me touche comme elle le doit ; mais ce que j’en conclus directement, c’est que, s’il n’y avait pas quelques grandes propriétés en Bourgogne, Chambertin, clos Vougeot, Romané-Conti et Saint-Georges courraient risque de disparaître de ce monde, ce qui serait vraiment dommage. Puis, faisant un retour sur les choses morales, je me dis qu’il en est à peu près dans le monde des âmes comme dans le monde des vignes, et que le gamay et le pinot se comportent exactement comme le vulgaire et l’élite humaine. Les belles âmes et les grandes intelligences croissent toutes seules à la grâce de la nature, tandis que Dieu seul sait les peines qu’il faut se donner pour attendrir et rendre productif le coriace gamay humain. Seulement, une fois que ce travail acharné a pris fin, ce gamay donne invariablement ses produits, tandis que le noble pinot des âmes d’élite donne les siens avec intermittence et voit souvent ses fleurs brûlées par la gelée, et ses fruits entraînés par l’action des pluies.


III. — TOURNUS. — MÂCON. — PARAY-LE-MONIAL.

Si l’on en excepte la légendaire sainte Reine à Alise, les deux saints qui sont restés les plus chers aux habitudes de la piété populaire bourguignonne sont saint Edme et saint Philibert ; or, par une singularité assez remarquable, ni l’un ni l’autre n’appartiennent à la Bourgogne, et c’est à peine s’ils appartiennent à la France. Nous avons raconté déjà dans notre visite à Pontigny par suite de quelles circonstances saint Edme, archevêque de Cantorbéry sous Henry III d’Angleterre, avait passé en Bourgogne ses deux dernières