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en faire sortir non-seulement des millions, mais des milliards. Aujourd’hui elle a presque effectivement réuni la somme qui doit amener son entière délivrance, et, si les traités ne nous imposaient pas le paiement en numéraire ou en valeurs étrangères, dont la recherche, en créant un nouvel obstacle, retarde encore l’acquittement de notre dette, le territoire pourrait être considéré comme à la veille d’être libéré. La France est donc encore toute-puissante sous le rapport matériel ; mais cela ne suffit pas pour lui rendre le rang qu’elle a perdu au point de vue politique, et qu’il lui faut recouvrer dans l’intérêt général de la civilisation autant que dans le sien propre. Cette richesse, qui est une partie de notre force, est en même temps une partie de notre faiblesse. Si la satisfaction des besoins matériels, les jouissances du luxe, les prospérités du commerce et de l’industrie adoucissent les mœurs et rapprochent les hommes, elles portent en même temps les germes corrupteurs des sociétés. Le gouvernement qui donnera l’ordre rendra certainement à la France sa splendeur matérielle ; mais ce que l’ordre et la richesse ne donnent pas par eux-mêmes, ce sont les sentimens qui font la grandeur morale des nations, le patriotisme, l’esprit de renoncement et de sacrifice, le dévoûment au devoir, le sentiment du juste et d’un certain idéal qui fait la patience dans l’infortune et écarte le découragement. Au point de vue politique, qui nous délivrera de l’esprit de faction et de révolte ? Au point de vue social, qui nous débarrassera des utopistes et des faiseurs d’expériences ? Ce n’est pas la loi toute seule. La vertu ne se décrète point, et il ne suffit pas de sept cent cinquante législateurs, réunis à Paris ou à Versailles, pour nous donner ce qui nous manque ou nous rendre ce que nous avons perdu. Le remède est dans l’âme de chacun de nous. C’est à chaque citoyen de scruter sa conscience, de profiter des fautes commises et des leçons du passé pour refaire l’éducation nationale, éloigner l’esprit du mal, restituer lui-même par l’exemple au principe d’autorité ce qui lui revient légitimement sans étouffer la liberté, et imprégner de ces sentimens la génération actuelle, qui les léguera à la génération suivante.



O. Glagau, Die russische Literatur und Iwan Turgeniew, Berlin 1872.


La littérature russe, telle qu’on l’a vue se développer depuis un siècle, peut se comparer à une plante exotique qui fait d’incessans efforts pour prendre racine dans le sol national. A l’exception d’un très petit nombre, les écrivains de quelque mérite étaient des hommes du monde qui transportaient dans leurs œuvres des goûts et des tendances qu’ils puisaient dans une éducation cosmopolite. Il en est résulté dès le principe une certaine sobriété de bon ton, une réserve élégante, qui