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de Francfort pour conserver la nationalité française. Ceux que cette faculté intéresse le plus, les mineurs, ne peuvent en profiter, alors même que l’option a été autorisée par leurs parens ; ceux qui, après avoir opté, retournent en Alsace pour y revoir leur famille ou leurs amis, sont incorporés dans l’armée allemande ; en ce qui concerne les personnes majeures, on répute leur option nulle alors même qu’elles ont eu soin de se pourvoir d’un passeport visé par les agens allemands ; ceux qui, sans être originaires de l’Alsace-Lorraine, y étaient seulement domiciliés au moment de l’annexion, ont dû transporter leur domicile en France, faute de quoi ils sont considérés comme Allemands. On pourrait croire à l’inverse que les personnes originaires de l’Alsace-Lorraine, mais qui ne l’habitaient point à la paix, qui l’avaient quittée depuis longtemps, depuis des années, pour résider soit en France, soit même à l’étranger, dans une autre hémisphère, échappaient aux rapacités de la conquête : il n’en est rien. Tout individu né dans l’Alsace-Lorraine à quelque époque que ce soit, habitât-il la Chine ou la terre des Patagons depuis son enfance, est tenu de faire option, s’il veut rester Français. On chercherait vainement de pareils effets de la conquête dans les anciens traités. Quant à l’incorporation des territoires, on ne sait pas assez qu’elle a eu lieu sans que l’Allemagne ait pris à sa charge aucune part de la dette générale de l’état français. Ainsi les départemens annexés apportent à l’Allemagne un contingent d’impôts, de valeurs actives, qui n’ont point de passif corrélatif, de telle sorte que, contrairement à tous les principes du droit des gens et à tous les précédens modernes, la conquête a été, comme jadis, un moyen de s’enrichir. Le même reproche du reste peut être adressé à l’indemnité de 5 milliards, qui, dépassant de beaucoup les dépenses ou les pertes du vainqueur, n’a été que l’application du système de la guerre comme moyen de lucre condamné par les publicistes de l’Allemagne elle-même.

Le droit des gens ne serait-il donc qu’une vaine formule, une sorte de desideratum, une chimère poursuivie par des esprits généreux, et qui vient constamment expirer devant la réalité ? Non, sans doute ; ce serait trop dire. Cependant un homme qui joignait à un esprit élevé un grand sens pratique, Rossi, reprochait au droit des gens d’en être encore aux misères de l’empirisme. « Cette science, disait-il, manque de principes, de déductions qui satisfassent l’intelligence et qui commandent la conviction, de règles qui ne soient étouffées par de nombreuses exceptions, de doctrines qui ne transigent souvent et à de dures conditions avec des doctrines contraires. »

La sévérité de ce jugement peut être contestée pour les temps de paix. La civilisation a de nos jours fait pénétrer dans le droit des gens un certain nombre de règles qui tendent à uniformiser les rapports sociaux des états modernes. C’est ainsi que le droit commercial, l’extradition, la propriété littéraire, celle des œuvres d’art, la poste, les télégraphes,