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santes, au point de devenir un sujet de préoccupation et une menace. L’excès de la population dans la capitale amène une altération des mœurs et des troubles qui ne sont pas toujours sans danger, tant il est vrai que la victoire elle-même ne préserve pas de ces accidens intérieurs qui à un moment donné peuvent devenir pour un pays une véritable faiblesse !

Voilà donc une révolution nouvelle en Espagne, mais celle-ci est en vérité d’une espèce particulière. Elle n’est pas sortie d’une sédition populaire ou militaire, elle s’est accomplie sans effort, comme la conséquence naturelle ! de toute une situation. Le roi Amédée Ier vient tout simplement d’abdiquer la couronne qu’il a portée deux ans. Tout ce qu’on peut dire, c’est que pendant ces deux années il a joué son rôle en prince modeste et honnête. Roi constitutionnel, soutenu au pouvoir par les radicaux, il a vu passer les chambres et les ministères, et ne s’est jamais refusé à rien dès qu’il distinguait une apparence de majorité. Il a essayé de tout ; le moment est venu où il s’est aperçu qu’il ne pouvait plus rien, que, par sa qualité d’étranger, il aurait de la peine à trouver la popularité dans le pays le plus susceptible et le plus jaloux de sa nationalité, que, par son bon sens, par sa fidélité aux lois, il ne pouvait rendre la paix, l’ordre à cette nation toujours agitée ; se laisser entraîner d’un autre côté vers les coups d’état, il ne le voulait pas. Alors il a préféré se retirer comme un fonctionnaire dégoûté d’une position ingrate ; tout cela, il l’a fait aussi régulièrement que possible, il a notifié sa résolution aux cortès par un dernier message, et il a pris le chemin de fer, laissant l’Espagne libre de disposer d’elle-même comme elle le voudrait, mais fort embarrassée à coup sûr de cette liberté qu’elle retrouve dans les conditions les plus difficiles, les plus périlleuses où elle se soit trouvée placée depuis longtemps.

Que bien des causes diverses aient contribué à inspirer cette résolution suprême au roi Amédée, ce n’est pas douteux. Il y a ce qu’on pourrait appeler la cause générale, la situation même faite à la péninsule par le règne prolongé du radicalisme, cette situation où en quelques années l’Espagne s’est vue avec sa grande colonie de Cuba à peu près perdue, avec sa dette doublée, avec son crédit menacé et sa tranquillité intérieure toujours en péril. Il y a aussi les causes plus immédiates, celles qui ont déterminé la dernière crise. La plus apparente de celles-ci est ce qui est arrivé au sujet d’un général d’artillerie qui avait été compromis autrefois dans une insurrection, et dont la promotion récente à un commandement supérieur en Catalogne a provoqué la démission de tout le corps d’officiers de l’artillerie espagnole. C’est sur ce dernier point, à ce qu’il paraît, que le roi et son ministère se sont trouvés en conflit. Le roi tenait à respecter les susceptibilités de tout un corps d’officiers, et il ne voulait pas laisser au général Hidalgo le commandement qu’on lui avait donné. Le ministère a essayé de peser sur la volonté du