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effort pour suivre avec l’œil de l’esprit les grandeurs constamment décroissantes, ne pas s’arrêter là où l’imagination est épuisée, et reconnaître enfin combien sont reculées les limites du microcosme. Quand cette faculté de nous étendre au-delà des bornes de notre nature, qui est une des plus belles prérogatives de notre entendement, ne nous abandonne point, nous arrivons à nous représenter les monades vitales de Leibniz, les molécules organiques de Buffon, à comprendre l’existence des proto-organismes répandus dans le monde par milliards de milliards, et à concevoir l’infiniment petit dans l’infiniment petit.

Ainsi, de même que l’univers infini où roulent les sphères est rempli de particules invisibles d’une matière subtile à laquelle les physiciens et les astronomes donnent le nom d’éther et qui est le seul moyen de comprendre les phénomènes cosmiques, l’univers fini où se déploie l’organisation est rempli de corpuscules également invisibles, formant ce que l’illustre Ehrenberg appelle la voie lactée des organismes inférieurs, et non moins nécessaires pour expliquer les opérations dont nous venons de tracer l’ensemble. De même qu’il y a un éther destitué de vie, il y a un éther doué de vie, un éther vital. L’un et l’autre sont incontestables ; ils passent la raison, mais la raison ne saurait s’en passer. Ils échappent à la prise immédiate de l’expérience ; cependant l’expérience ne permet pas d’y échapper. Ils sont invisibles, et sans eux il n’y aurait point de choses visibles. L’esprit y adhère d’une adhésion énergique, peut-être parce qu’il se sent avec eux une secrète et mystérieuse affinité, peut-être parce qu’il est au fond de même essence.


III

Notre atmosphère est donc le réceptacle de myriades de germes d’êtres microscopiques qui jouent dans le monde organisé un rôle considérable. Agens pénétrans de corruption, sinistres ouvriers de maladie, ils épient sans cesse l’occasion de s’insinuer dans l’économie des plantes et des animaux pour y provoquer des désordres plus ou moins graves. Souvent la vie leur résiste ou leur échappe, mais rien ne saurait leur en disputer les dépouilles. Le cadavre est leur aliment naturel ; la mort est leur laboratoire de prédilection. C’est là que ces êtres infimes accomplissent leur destinée vraiment grandiose dans le drame éternel du renouvellement des existences organiques.

Quand la fine pellicule qui recouvre les fruits sucrés se déchire en un point, la porte est ouverte aux germes atmosphériques. Des cellules à ferment pénètrent à l’intérieur du fruit, et y provoquent la fermentation du sucre, c’est-à-dire la formation d’un peu d’alcool ;