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et la structure des organes, et l’on déduisait de là les usages de ces organes. Quelquefois ces déductions conduisaient à de vraies découvertes : c’est ce qui est arrivé à Harvey pour la circulation du sang ; d’autres fois ces déductions conduisaient à l’erreur, le plus souvent on croyait déduire ce qu’en réalité on ne faisait qu’observer. On conçoit le rôle considérable que jouait le principe des causes finales dans cette physiologie.

S’il en faut croire les maîtres actuels de la science[1], cette méthode, qui subordonne la physiologie à l’anatomie, qui déduit les usages et les fonctions de la structure des organes, et qui est par conséquent plus ou moins inspirée par le principe des causes finales, cette méthode a fait son temps ; elle est devenue inféconde, et une méthode plus philosophique et plus profonde a dû lui être substituée. Rien de plus contraire à l’observation que d’affirmer que la structure d’un organe en fait deviner le rôle. On avait beau connaître à fond la structure du foie, il était impossible d’en déduire les fonctions, ou du moins l’une des fonctions, à savoir la sécrétion du sucre. La structure des nerfs ne révélera jamais à qui que ce soit que ces organes soient destinés à transmettre soit le mouvement, soit la sensibilité. De plus, les mêmes fonctions peuvent s’exercer par les organes les plus différens de structure. La respiration, par exemple, s’exercera ici par les poumons, là par des trachées, même, chez certains animaux, par la peau, chez les plantes par les feuilles. Réciproquement les mêmes organes serviront chez différens animaux à accomplir les fonctions les plus différentes ; ainsi la vessie natatoire des poissons, qui est le véritable analogue des poumons chez les mammifères, ne sert en rien ou presque en rien à la respiration, et n’est qu’un organe de sustentation et d’équilibre. Enfin, dans les animaux inférieurs, les organismes ne sont nullement différenciés ; une seule et même structure homogène et amorphe contient virtuellement l’aptitude à produire toutes les fonctions vitales, digestion, respiration, reproduction, locomotion, etc.

De ces considérations, M. Claude Bernard conclut que la structure des organes n’est qu’un élément secondaire en physiologie, bien plus, que l’organe lui-même n’est encore qu’un objet secondaire, et qu’il faut aller plus loin, plus avant, pénétrer plus profondément pour découvrir les lois de la vie. L’organe aussi bien que la fonction n’est qu’une résultante. Dans l’ordre inorganique, tous les corps que présente la nature sont toujours des corps composés,

  1. Voyez les Cours de MM. Claude Bernard et Charles Robin dans la Revue des cours scientifiques, t, Ier, 1863-1864.