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fois la langue de l’école et celle du foyer. Rien de plus sublime que la philosophie de Platon, et en même temps combien elle est populaire ! Une demi-réllexion nous éloigne de la philosophie populaire ; une réflexion plus profonde nous y ramène. Bossuet a dit : « Malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne pas à aimer ! » On peut dire aussi : Malheur à la philosophie pure qui ne se tourne pas à l’instruction et à l’amélioration des hommes !

Cependant la critique et la dialectique ne perdent pas leurs droits. La philosophie populaire va surtout aux résultats ; la philosophie savante recherche et sonde les principes. Toute la théologie physique repose sur l’analogie de l’industrie humaine et de l’industrie de la nature, de l’art humain et de l’art de la nature. Les cause-finaliers ne tarissent pas en comparaisons de ce genre : c’est un palais, c’est une statue, c’est un tableau, c’est une montre. A chacun de ces exemples, Fénelon se demande si ce peut être un effet du hasard ; puis, revenant à l’univers, il nous le décrit plus beau qu’un palais, plus savamment combiné qu’aucune machine humaine, et de la perfection de l’œuvre il conclut à la perfection de l’ouvrier. Voltaire ne voyait aussi dans l’univers qu’une « horloge, » et il s’étonnait qu’on pût croire « que cette horloge n’avait pas d’horloger. » De telles analogies sont-elles fondées ? La science vient-elle ici à l’appui de la philosophie ou lui est-elle contraire ? Nous permet-elle de supposer à la cause universelle des desseins et des combinaisons, ou nous interdit-elle cette hypothèse ? Nous avons l’habitude d’attacher un grand prix à ces confrontations de la philosophie et de la science, et il nous semble qu’elles sont toujours d’un grand profit pour l’une et pour l’autre. Interrogeons donc les sciences, et entre les sciences celle-là surtout qui paraît être le domaine propre de la cause finale ; consultons, sur la question qui nous occupe, les maîtres les plus autorisés de la physiologie contemporaine.


I

L’ancienne physiologie, suivant les traces de Galien, s’occupait principalement de ce que l’on appelait l’usage des parties, c’est-à-dire de l’utilité des organes et de leur appropriation aux fonctions ; frappée de cette admirable concordance qui existe la plupart du temps entre la disposition de l’organe et l’usage auquel il sert, elle pensait que la structure de l’organe en révèle l’usage, comme dans l’industrie humaine la structure d’une machine peut en faire a priori reconnaître le but. L’anatomie était considérée comme la clé de la physiologie ; par le moyen du scalpel, on démêlait la forme