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qu’ont-ils dû penser de leurs compatriotes, et qui ont-ils jugé le plus grand du vainqueur ou du vaincu ? Afin d’éveiller moins les soupçons, Hoff avait revêtu l’habit d’un des gardiens de la maison ; il s’approchait des détenus d’un air bon enfant, s’adressait à eux en allemand, leur offrait des cigares, les faisait causer. Eh bien ! s’il faut le dire, il n’en tirait pas grand’chose. On a beaucoup raillé nos pauvres mobiles de province, qui, jetés tout d’un coup dans cette vie des camps qu’ils ne connaissaient pas, ballottés d’un corps d’armée à l’autre, passant sans cesse de régiment en régiment et de bataillon en bataillon, épuisés, affamés, perdus, ahuris par la défaite, pouvaient tout au plus nommer l’escouade dont ils faisaient partie. Soyons pour eux moins sévères. Parmi ces lourds Allemands depuis longtemps façonnés au métier de la guerre, la plupart ignoraient tout de leurs armées, de leurs mouvemens, de leurs positions, et, si quelques-uns se taisaient par défiance, beaucoup aussi ne disaient rien parce qu’ils n’avaient rien à dire. Le départ de Hoff, plusieurs fois retardé, avait été fixé au 28 octobre ; il devait se mettre en route le soir, sans arme aucune et sous le costume de paysan. Son plan était, parvenu sur les bords de la Moselle, de se lancer à la nage, et de pénétrer ainsi dans la place assiégée ; mais, lorsque à l’heure dite il se présenta au ministère pour prendre ses dernières instructions, rien n’était prêt encore : on attendait de Metz une dépêche qui n’arrivait pas. Un lit de camp lui fut installé au milieu même des bureaux de l’état-major : il y passa la nuit, attendant toujours. Enfin on l’appelle dans le cabinet du ministre, il entre. Le vieux général paraissait triste, abattu, et d’une main fiévreuse tourmentait sa longue barbiche blanche. — Vous ne partez pas, sergent, dit-il à Hoff précipitamment. Non, c’est fini pour cette fois, bien fini : mais si jamais nous avons besoin d’un homme énergique, je saurai que vous êtes là. — Il lui adressa encore quelques paroles bienveillantes et le congédia. Deux heures plus tard, le bruit se répandait dans Paris que Metz avait capitulé.

Jusque-là, et bien qu’il jouît d’une certaine indépendance, Hoff était resté toujours attaché à son régiment, recevant les ordres de ses officiers. Par une faveur insigne, en le congédiant, le ministre lui accorda de n’être plus soumis à personne, et de s’adjoindre douze hommes qui relèveraient de lui seul. C’est ce que Hoff désirait le plus. Libre désormais de ses mouvemens, il redoubla d’audace et ne vécut plus qu’au dehors, allant et venant sans cesse au travers des lignes prussiennes. Il emportait sur lui une carte de l’état-major. Des paysans aussi le conduisaient, gens du pays instruits de tous les détours et de tous les sentiers. L’un d’eux, Merville, ouvrier maçon, garçon adroit et intelligent, s’était mis au service du général d’Exea. Justice est due à ces pauvres campagnards,