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à Spezzia, où on les avait égorgées. Il restait à bord quelques prisonniers ; les Grecs les débarquèrent et sommèrent les habitans de Monembasia de se rendre. « Toute la Grèce, disaient-ils, est en insurrection. Le jour de la liberté est arrivé, nous allons reconquérir notre empire. » Les Turcs se montrèrent insensibles à ces bravades. « Ils n’avaient aucun ordre du sultan pour livrer la place, et ils étaient décidés à soutenir leurs droits jusqu’à la dernière goutte de leur sang. » Les bâtimens grecs commencèrent à canonner la forteresse ; les Turcs ripostèrent, le dommage fut nul de part et d’autre. Avant de se résigner aux lenteurs d’un blocus, les Spezziotes eurent recours à l’intimidation. Ils firent fusiller par les Maniotes, sous les yeux des habitans de Monembasia, les prisonniers, hommes et femmes, qu’ils avaient débarqués. Les assiégés ne s’en montrèrent que plus résolus à se défendre. Quand ils eurent mangé les chiens, les chats, les chevaux, les animaux les plus immondes, ils finirent par s’entre-tuer. Des enfans furent égorgés et dévorés secrètement. La dernière ressource fut la mousse de mer attachée aux flancs des bateaux : on la faisait bouillir avec un peu d’huile. La garnison tenta quelques sorties. Les cadavres des Grecs restés sur le champ de bataille étaient apportés dans l’enceinte de la ville et vendus publiquement à 10 et 12 piastres Toque.

Cette résistance désespérée devait avoir un terme. Le frère d’Alexandre Ipsilanti, le prince Démétrius, venait d’arriver en Morée ; les Moréotes le mirent à la tête de leurs troupes. Les premiers actes du nouveau commandant en chef tendirent à inaugurer une politique plus clémente. Le prince Grégoire Cantacuzène fut autorisé à offrir des conditions acceptables aux héroïques défenseurs de Monembasia. Le 5 août 1821, les Grecs prenaient possession de la place ; mais, s’il dépendait du prince d’accorder aux vaincus une capitulation digne de leur courage, il était hors de son pouvoir d’en faire respecter les clauses. Six cents prisonniers avaient été embarqués sur trois bâtimens spezziotes qui devaient les conduire en Asie ; ce fut à Caxos que les Spezziotes les débarquèrent. Ils les laissèrent sur ce rocher ennemi sans vivres, sans vêtemens, après les avoir complètement dépouillés. Elez-Aga fut par bonheur informé de cet abandon. Un bâtiment autrichien nolisé pour un mois par un négociant français, M. Bonfort, se trouvait à Scala-Nova. Notre compatriote s’émut au récit que lui fit l’aga ottoman ; il consentit à se rendre sur-le-champ à Gaxos, et ce fut un Français qui, ramenant enfin le 19 août les prisonniers de Monembasia en Asie, acquitta l’engagement d’honneur contracté, au nom de la Grèce, par le prince phanariote.