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-zaine d’hommes résolus, part à la tombée de la nuit, et, tournant le village, va s’embusquer dans un fossé le long de la Marne, en face des premières maisons de Bry. L’œil aux aguets, le fusil armé, on attendit quatre grandes heures. Tout à coup de Petit-Bry, sur le chemin de halage, par la rue qui de la mairie descend vers la rivière, débouche un détachement de cavalerie : ils arrivaient en nombre, trois cents pour le moins, fumant sans défiance et causant entre eux ; les cigares des officiers brillaient dans la nuit. C’était le moment. Au signal donné, les quinze fusils s’abaissent et font un feu de peloton. Surpris dans cet étroit espace entre le fleuve et les murs des enclos voisins, les Allemands ne peuvent ni avancer ni reculer ; les chevaux éperdus se cabrent, les cavaliers tombent, l’escadron se débande, nos hommes tiraient toujours. Il y eut un moment de confusion indescriptible. Enfin des maisons de Bry sortent des fantassins qui commencent à riposter, en même temps quelques coups de feu éclatent sur la gauche. Craignant d’être tourné, Hoff donne l’ordre de la retraite ; lui-même quitte la partie le dernier. Le lendemain, quand le jour parut, les Prussiens, comme d’habitude, avaient soigneusement enlevé leurs morts et leurs blessés ; mais une cinquantaine de chevaux jonchaient encore le terrain.

En se retirant, Hoff avait remarqué l’endroit d’où sur notre rive étaient partis des coups de fusil : là devaient être leurs grand’gardes. En effet, à l’abri des ruines du pont, ils avaient établi un poste de quatre hommes ; chaque matin, pour les relever, ils passaient la Marne en bateau. Le sergent résolut de s’en assurer. Un soir, seul cette fois, il se dirige vers la Marne, et, moitié rampant, moitié marchant, arrive sans être entendu. Accoudé à un tas de pierres, un Bavarois faisait la faction ; il regardait mélancoliquement couler l’eau et rêvait sans doute au pays. Hoff s’élance et lui fend le crâne d’un seul coup de sabre, puis il avise une sentinelle debout sur la rive gauche à l’autre extrémité du pont, il prend son fusil, et l’abat. Un Allemand accourt, tire sur le sergent, le manque, et tombe à son tour frappé d’une balle. Tout cela n’avait pas duré deux minutes. C’est ce que Hoff appelle son premier Prussien.

Un tel début méritait bien certains privilèges : Hoff put dès lors s’écarter à sa guise et faire la guerre comme il l’entendait ; on lui confia même quelques hommes pour l’accompagner. Du reste, il mettait grand soin à préparer ses petites expéditions, et, toujours le premier au feu, il exposait mille fois sa vie avant d’engager celle de ses camarades. Il partait seul à la brume, le fusil sur le dos, un revolver au côté, le sabre nu passé dans la ceinture. Le long des haies, par les sillons, au fond des fossés, il se glissait, rampait sur les mains, à plat ventre, fouillant des yeux les ténèbres, s’arrêtant au moindre bruit, puis reprenant sa marche. De temps en temps,