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point, car à ce degré de corruption, dit son historien, l’excès de l’infamie est une volupté de plus. Un jour enfin, non contente de déshonorer son mari, elle résolut de le supprimer. Cette fois le bonhomme se fâcha, il envoya des gens à lui pour arrêter les complices de la femme adultère et l’appréhender elle-même. Il était pourtant si faible, si nul, si abruti par l’habitude de la honte, qu’il eut encore un mouvement de pitié pour la pauvre femme (c’est le terme dont il se servit), et qu’il lui fit dire de venir se justifier. Ses serviteurs ne furent pas si démens, ils la poursuivirent dans un jardin où elle avait cherché asile, et la tuèrent à coups d’épée. L’histoire ne dit pas si le mari, une fois la chose faite, s’écria comme le personnage du Gymnase : « Et maintenant, allons travailler ! » Il s’occupait alors d’une histoire des Carthaginois.

Que M. Alexandre Dumas, en mettant sur la scène une messaline bourgeoise du XIXe siècle, comme l’indique le titre de son œuvre, ait voulu justifier par un exemple incontestable les conclusions de sa brochure, c’est ce qui paraît évident. Il est évident aussi qu’il a fait complètement fausse route. Claude l’ancien a tué Messaline parce qu’il allait être assassiné par elle ; ce n’est pas la femme adultère qu’il punit, il frappe la complice d’une conspiration qui en veut à son trône et à sa vie. La même chose est vraie du moderne Claude. Lui aussi, comme l’imbécile époux de Messaline, il a laissé libre carrière à la femme impudique, et, s’il la punit de mort, c’est parce qu’elle l’a volé.

Quant à la théorie de M. Alexandre Dumas, en supposant même qu’elle fût appliquée exactement et non pas à faux, comme on vient de le voir, faut-il la discuter à propos de la Femme de Claude ? Nous ne le pensons pas. Le feruit qui s’est fait l’année dernière au sujet de la brochure d’où ce drame est sorti nous paraît la chose la plus ridicule au point de vue littéraire et la plus condamnable au point de vue de la morale et du patriotisme. Cette manière de prêcher la régénération de notre société est une insulte à la France ; les étrangers, nos ennemis surtout, ne s’y sont pas trompés. Ces argumens scandaleux mis au service de la morale, ce désordre de sentimens et d’idées dans une thèse consacrée à la défense de l’ordre, leur ont produit l’effet d’un raffinement de corruption. Voilà, disaient-ils avec un rire injurieux, voilà le censeur qui doit relever la France ! Faisons donc notre police nous-mêmes, à moins de consentir à passer pour dupes. La brochure dont il s’agit ne peut être discutée, il sufiit de dire en quelques mots : M. Alexandre Dumas est un peintre hardi, un écrivain vigoureux ; s’il ne se transforme résolument, il ne sera jamais un moraliste.

Le vrai moraliste, le vrai juge des institutions et des hommes, est un esprit ouvert, lumineux, qui embrasse tous les aspects d’une question, qui en connaît tous les élémens, qui les apprécie, les pèse, les classe, qui, en affirmant le droit, n’en méconnaît pas les conditions, qui sait