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lui demandât conseil, et, quand elle avait conçu pour quelqu’un une vraie amitié, elle allait au-devant, sans qu’il lui en parlât, des affaires et des intérêts de sa vie et même de son âme ; sa correspondance avec J.-J. Ampère abonde en témoignages de cette sollicitude spontanée, intelligente et touchante. Il avait dix-neuf ans quand il lui fut présenté à l’Abbaye-au-Bois par M. Ballanche, en juin 1820 ; Mme Récamiere avait alors quarante-trois. Elle prit pour ce jeune homme plein de feu intellectuel et d’élévation morale une « affection de mère ou de sœur, comme vous voudrez vous-même, » lui disait-elle ; elle suivait avec une attention tendre tous les incidens de sa vie, toutes les dispositions de son âme, et elle lui déclarait ce qu’elle en pensait avec une franchise qui, loin de le blesser, ne pouvait que lui plaire et l’attacher. « Votre dernière lettre me fait une vive peine, lui écrivait-elle de Rome le 17 janvier 1825 ; j’ai besoin de me dire qu’elle fut dictée par une impression passagère. Je ne veux point vous ennuyer de votre bonheur en vous récapitulant toutes les raisons que vous avez d’être content de vous et de votre sort ; mais en vérité vous êtes un ingrat, et vous devriez toujours remercier Dieu de ce qu’il vous a donné. Je compte toujours partir au mois de mars. Je rêve l’été en France, puis le retour en Italie ; je passe ma vie à faire des projets ; c’est la maladie de ceux qui ne sont pas contens de leur destinée. Vous êtes dans tous mes projets ; cela ne peut plus être autrement. » Un an plus tard, en décembre 1826, M. Ampère, plein d’une ardeur très variée et inépuisable, faisait un voyage scientifique en Allemagne : « Malgré tous mes regrets de votre absence, lui écrivait Mme Récamier, j’ai fort applaudi à une résolution qui prouvait une volonté forte. Je n’ai jamais douté des facultés de votre esprit ; mais j’ai craint quelquefois que la mobilité de votre caractère ne nuisît à leur emploi. Rassurée sur ce point, je suis tranquille sur tout le reste. » Et presque à la même époque : « Je crois pouvoir, comme votre sœur, vous demander de vous adresser à moi, si vous aviez quelque embarras momentané dans vos finances. J’ai des prétentions à tous les genres de confidence. » En 1827, les études religieuses avaient pris place dans les occupations et les préoccupations de M. Ampère ; il avait suivi, je ne sais pas en quel lieu, un cours d’exégèse biblique qui l’avait fort intéressé. « L’impression qui vous est restée de ce cours, lui écrivit Mme Récamier, me semble un progrès auquel j’attache le plus grand prix. Avec de l’âme et des facultés supérieures, il est impossible de ne pas souffrir de l’absence de croyances ; puisque vous ne pouvez plus croire avec les simples, croyez avec les savans : nous arriverons ainsi, par des chemins différens, aux mêmes résultats. Je suis chaque jour plus convaincue du néant de tout ce qui ne se fait pas dans ce but, ou du moins dans cet espoir. »

Ainsi en toute occasion, sur les questions les plus élevées comme sur