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doux de le voir si proche d’être accompli. » Le plus austère et le plus pieux des hommes épris de Mme Récamier, — celui de qui, trente-trois ans après sa mort, Mme de Boigne disait : « Quel amour délicat ! que de ménagemens dans la jalousie ! c’est bien celui-là qui méritait d’être préféré, et il ne l’a point été, » — le duc Matthieu de Montmorency, écrivait le 3 janvier 1812 à Mme Récamier : « Votre dernière lettre m’a causé un véritable bonheur. Que je suis heureux de m’être trompé dans mes craintes méfiantes, présomptueuses, dans mes véritables jugemens téméraires ! Comme vous me rassurez, comme vous exposez le triomphe de votre raison d’une manière douce et modeste ! J’en jouis du fond de mon cœur, et j’en rends grâces à Dieu. Votre messe de minuit m’a beaucoup intéressé aussi… Quand vous voudrez mettre de la suite dans les pratiques consacrées par notre religion, j’ai l’intime conviction que vous les goûterez beaucoup, et qu’au bout de quelque temps vous vous trouverez davantage de ce sentiment de foi qui vous étonne encore. »

M. de Montmorency avait raison de parler du « triomphe si modeste et doux » de la raison de Mme Récamier, en même temps qu’il se félicitait de son progrès dans les sentimens de la foi et de la piété catholique. Douze ans après la lettre que je viens de citer de lui, le 20 décembre 1825, Mme Récamier écrivait de Rome à son jeune ami M. Ampère : « L’année sainte n’est point ce que j’imaginais. Une trentaine de pèlerins et dix ou douze pèlerines, voilà tout ce que nous avons vu jusqu’à présent. Nous fûmes hier assister au souper des pèlerines ; elles étaient servies par la princesse de Lucques et toutes les grandes dames romaines, et la princesse Doria, belle comme un ange. Toutes ces dames, avec des robes noires et des tabliers blancs, faisaient l’office de servantes ; elles lavaient les pieds aux pauvres pèlerines quand nous sommes arrivés. Le croiriez-vous ? je n’ai point été touchée de ce tableau, moi dont l’imagination se prend si facilement à ces sortes de choses ; ces pauvres pèlerines me semblaient si embarrassées d’être ainsi mises en spectacle, le secours qu’on leur donne, et qui se borne à une hospitalité de trois jours, m’a paru si misérable pour des apprêts si pompeux, que je me suis presque trouvé la philosophie de M. Lemontey, et je n’ai vu dans l’abaissement passager et théâtral de ces grandes dames qu’une manière nouvelle de se donner le sentiment de leur grandeur, un orgueil de plus dont elles ne se rendent pas compte assurément. Malgré ma facilité à entrer dans les sentimens des autres, je n’ai pu me prêter à cette illusion. »

Le bon sens, un bon sens simple, indépendant et ferme, se joignait, dans Mme Récamier, à sa disposition sympathique vive et tendre. Ses amis particuliers disent que, lorsqu’ils lui demandaient un, conseil dans quelque circonstance délicate de leur vie, elle le leur donnait toujours précis, judicieux et prévoyant. Elle n’attendait même pas toujours qu’on