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monde le droit de dire que je recherchais de l’argent, sous prétexte de rechercher autre chose ; nulle autre sauvegarde n’était nécessaire contre moi, la sauvegarde de la richesse suffisait !

En prononçant ces mots, Will se leva pour s’en aller, il ne savait ou, mais ce fut vers la fenêtre la plus proche, qui se trouvait ouverte, — un jour de l’année précédente, lui et Dorothée s’y étaient appuyés pour causer. — Tout le cœur de la jeune femme sympathisait avec l’indignation de Will, et, tandis qu’elle souhaitait le plus de lui persuader qu’elle ne l’avait jamais méconnu, il se détournait d’elle comme si elle eût fait partie du monde injuste et hostile.

— Il serait bien mal à vous de supposer que je vous eusse jamais cru capable de bassesse, dit-elle. Imaginez-vous donc que j’aie douté de vous ? — Ils perdirent les dernières minutes qu’ils avaient à passer ensemble dans un silence douloureux. Que pouvait-il dire, puisque ce qui dominait tout en lui était cet amour opiniâtre, insensé, dont il s’interdisait de parler ? Que pouvait-elle dire, puisqu’elle n’avait le droit de lui offrir aucun secours, puisqu’elle se voyait forcée de garder l’argent qui eût dû être à lui, puisque aujourd’hui il ne semblait plus lui témoigner la confiance ni l’affection d’autrefois ?

Will se rapprocha. — Il faut que je parte.

— Que ferez-vous dans la vie ? Vos intentions sont-elles restées ce qu’elles étaient quand nous nous sommes dit adieu une première fois ?

— Oui, répondit Will d’un ton qui semblait écarter le sujet. Je travaillerai à la première chose qui s’offrira. On doit prendre, je suppose, l’habitude d’agir sans bonheur ni espérance.

— Oh ! quelles tristes paroles ! dit Dorothée avec une dangereuse disposition à sangloter ; mais, s’efforçant de sourire, elle reprit : — Nous reconnaissions dans le temps que nous avions l’un et l’autre l’habitude d’employer des expressions trop fortes.

— Ce n’est pas le cas pour moi en ce moment, dit Will, s’adossant à l’angle du mur. Il y a certaines émotions qu’un homme ne peut éprouver qu’une fois, et il sent après que ce qu’il y a de meilleur dans la vie est passé. Cette expérience, je l’ai subie bien jeune, voilà tout. Ce que je désire plus que je ne pourrai jamais désirer rien au monde m’est absolument défendu, non pas seulement parce que c’est hors de ma portée, mais défendu par mon propre orgueil, par l’honneur, par tout ce qui fait que j’ai quelque respect pour moi-même. Désormais il me faudra continuer de vivre comme un homme qui dans l’extase a entrevu le ciel.

Will se sentait en contradiction (avec lui-même et se blâmait de