Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/691

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coup de Will Ladislaw. Jamais elle n’avait admis auparavant qu’ils pussent un jour être l’un à l’autre ; mais l’idée que son mari a pu redouter une pareille union la trouble étrangement. Le mari, triste et souffrant, n’est plus là pour solliciter sa pitié ; son orgueil se révolte, et son cœur parle plus haut qu’elle ne le voudrait, il est même oppressé d’une singulière angoisse lorsqu’on lui apprend que Will est devenu l’hôte assidu de Lydgate, qui dans l’intervalle a épousé Rosamond et qui a déjà lieu de s’en repentir.

Plus coquette, plus égoïste, plus éprise d’elle-même que jamais, Rosamond blâme son mari de passer à l’hôpital le temps qu’il ne consacre pas à des expériences au microscope ; elle lui reproche sans cesse, dans son langage puéril et enfantin, d’aimer ces vilaines choses plus qu’elle. Son goût effréné pour la toilette et le luxe est cause que le pauvre savant succombe sous le poids de ces tracas d’argent, qui finissent par étouffer toute préoccupation plus noble ; mais peu importe à Rosamond : elle ne songe qu’à faire des conquêtes du haut de ce trône du mariage, au pied duquel le mari lui-même n’est qu’un sujet soumis. Son adorateur préféré est pour le moment Will Ladislaw ; elle prend sa galanterie hyperbolique et à demi moqueuse pour le langage de la passion, et lui s’efforce d’oublier, en badinant avec cette femme légère, l’amour sans espoir qui remplit son cœur. Il sait trop qu’il doit fuir Dorothée ; la précaution prise par M. Casaubon est faite pour les séparer plus que jamais. Leurs adieux, au moment où il souffre de s’éloigner, où elle brûle de le retenir, forment une des meilleures scènes de ce roman, qui abonde en beautés noyées dans des torrens d’ennui.

— J’avais écrit… pour demander la permission de vous voir, dit Will, s’asseyant en face d’elle. Je pars, et je ne pouvais le faire sans vous parler encore une fois.

— Je croyais que nous nous étions dit adieu quand vous êtes venu à Lowick, il y a déjà bien des semaines. Vous pensiez partir alors, répliqua Dorothée, dont la voix tremblait un peu.

— Oui, mais j’ignorais alors bien des choses que je sais maintenant, des choses qui ont changé mes pensées d’avenir. Quand-je vous ai vue, mon rêve était de pouvoir revenir un jour ou l’autre. Je ne crois pas maintenant revenir jamais. — Il se tut un instant.

— Et vous désiriez m’en confier les raisons ? demanda timidement Dorothée.

— Oui, dit Will avec impétuosité, secouant la tête et détournant d’elle son regard plein de colère ; je dois le désirer, cela va sans dire. J’ai été grossièrement insulté à vos yeux, aux yeux de tous. Je veux que vous sachiez bien qu’en aucune circonstance je ne me serais abaissé,… qu’en aucune circonstance je n’aurais donné au