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Avec de mauvaise politique, on ne fait pas de bonnes finances. C’est deux ans après, au dire de Villani, qu’eut lieu la grande faillite des banquiers florentins, déjà préparée par les catastrophes partielles que nous avons citées. La faillite des Bardi et des Peruzzi entraîna bien vite celle des Acciajoli, des Bonaccorsi, des Cocchi, des Antellesi, des Corsini, des da Uzzano, et d’autres maisons de moindre renom. « Ce fut pour la commune de Florence la plus grande ruine, le plus grand désastre qu’elle eût jamais éprouvé. » Le montant de la faillite totale des banquiers du chef seul d’Edouard III est évalué à 60 millions de francs de notre monnaie. Le roi de Sicile, imitant le roi d’Angleterre, refusa aussi de faire honneur à ses engagemens financiers ; il devait aux Bardi et aux Peruzzi près de 200,000 florins d’or. De leur côté, les rois de France n’avaient cessé depuis plus d’un demi-siècle (1277-1337) de poursuivre les banquiers florentins comme usuriers, de les traquer, de les exiler, de leur extorquer de l’argent. Philippe de Valois, digne successeur de Philippe le Bel, combla lui-même la mesure. Manquant d’argent pour continuer la guerre contre Edouard III, il soumit les banquiers florentins établis en France à toute sorte d’exactions. D’aussi criantes injustices devaient à la fin porter leurs fruits. Les Peruzzi, les Bardi, liquidèrent tout ce qu’ils avaient : créances, terres, villas, maisons de ville, tout fut vendu. A peine purent-ils donner à leurs créanciers 15 ou 20 pour 100 de ce qui leur était dû. Ce concordat fut signé en 1347. Villani, comme associé cette fois des Bonaccorsi et compris dans leur faillite (il avait quitté les Peruzzi), fut poursuivi et mis en prison comme insolvable. Il mourut peu de temps après, lors de la fameuse peste de Florence, frappé d’un mal dont plus de 50,000 personnes succombèrent[1]. Ce nouveau fléau s’ajoutant au précédent, les affaires ne purent de longtemps se rétablir. Dans tous les cas, les vieilles maisons de banque avaient disparu sans retour. Celles qui vinrent depuis ne se livrèrent plus qu’à l’industrie du change. Vainement les Bardi, les Peruzzi, réclamèrent de la couronne d’Angleterre, pendant plus d’un siècle, les énormes sommes qui leur étaient dues. Les archives de la Tour de Londres renferment tous les détails de ce curieux procès. Les Anglais, tout en reconnaissant leur dette, ne l’ont jamais éteinte.

En 1378, quand le calme commençait à renaître, éclata la révolution sociale des ciompi ou compères, partie des bas-fonds de la populace. Les ciompi, outre leur admission dans les arts mineurs,

  1. Cette peste, celle qu’a décrite Boccace dans le Décaméron, fit le tour de l’Europe sous le nom de peste noire, semant partout l’épouvante et la mort. N’était-ce pas, au lieu de la peste, une première apparition du choléra ?