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politique, Florence se montre la rivale d’Athènes ; elle a même sur Athènes l’avantage de tenir le travail en honneur.

Les historiens ont enregistré ces faits ; il faut revenir sur ce qu’ils ont omis en partie, c’est-à-dire sur le commerce de Florence, qui fut si actif à cette époque, cependant si troublée. Le commerce de la république florentine allait de pair avec celui des Génois, des Pisans, des Vénitiens, et s’étendait sur le monde alors connu. Non-seulement on allait acheter la laine jusqu’au fond des couvens de l’Angleterre et de l’Ecosse, les draps en France et dans les Flandres ; mais du Levant on tirait la soie, l’orseille, le sucre, le coton, et de l’extrême Asie, de la Chine, de la Tartarie, de l’Inde, où l’on se rendait alors par terre en caravane, on faisait venir les épices, les fourrures[1], les perles, l’ambre, dont on faisait des chapelets, les pierres précieuses, l’or en lingots ; on tirait aussi de Chine, en plus grande quantité encore que du Levant, la soie grège et le coton. On y portait comme échange des draps et des soieries, des velours, des brocarts d’or et d’argent[2], des cuirs, des toiles de Champagne et des Flandres, des vins, du caviar, des objets de quincaillerie allemande, des lingots d’argent. Tout cela était avec soin emballé sur des navires de Gênes ou de Pise, et porté de la mer toscane ou ligure au fond de la Méditerranée. On avait beau faire ramer les esclaves sur les galères du commerce, le prix des frets était élevé, et M. G. Ulrich, qui a laissé sur les conditions économiques de ces temps-là des notes pleines d’intérêt, calcule que le transport d’un sac de blé de Palerme à Livourne coûtait alors autant qu’en le faisant venir aujourd’hui d’Odessa.

Les ports d’arrivée étaient Trébizonde sur la Mer-Noire et Alexandrette, le port d’Alep, sur la côte levantine. Alexandrie, ruinée par les sultans d’Égypte, écrasée par des droits de douane exorbitans, avait perdu son ancienne importance. De Trébizonde et d’Alexandrette, les caravanes se rendaient à Erzeroum et Tauris. Là les unes se dirigeaient sur l’Inde par la Perse et la vallée de Cachemir, les autres sur la Chine par le grand désert. Arrivées sur le Hoang-ho, elles rejoignaient Pékin, que les Italiens appelaient Cambalu et les Arabes Cambaleck. Une partie des marchandises destinées à l’Inde ou retirées de ce pays empruntaient aussi la voie du Golfe-Persique et de la Mer-Rouge. Pegolotti, associé et agent de la maison des Bardi (1315), a marqué dans une sorte de guide des marchands les étapes de ce lointain commerce, et désigné les caravansérails où l’on

  1. La rue où l’on préparait ces fourrures à Florence existe encore : c’est la via Pelliceria.
  2. C’est par erreur que les historiens attribuent à Gênes et à Venise la fabrication de ces belles étoffes : Gênes et Venise ne faisaient que les transporter.