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des matières volatiles, et s’est maintenue ouverte. En approchant de la portion moyenne, on distingue un gouffre dont l’entrée est divisée en deux parties inégales par un énorme bloc. C’est le soupirail d’une vaste caverne connue dans le pays sous le nom de Forno (four). Des rochers noirâtres taillés à pic, en partie voilés par un tissu d’hépatiques et de mousses, environnent l’orifice par lequel on pénètre dans cette cavité souterraine. Près du rebord supérieur, des pieux sont enfoncés en terre ; on y attache une corde dont l’extrémité inférieure aboutit au sol de la caverne. Pour descendre, on saisit cette corde de la main, en même temps qu’on appuie les pieds contre la paroi du rocher et qu’on raidit le corps ; on est soutenu en outre, au-dessous des bras, par une seconde corde plus petite que les guides restés en haut laissent filer peu à peu. Un pareil exercice n’a rien de rassurant ; ce trou noir où l’on va s’enfoncer inspire au début de la descente une certaine appréhension ; l’impression désagréable ne fait qu’augmenter quand on arrive près du but, et qu’on discerne dans une demi-obscurité les pointes aiguës des rocs qui vous attendent en bas, si vous lâchez prise. Le point où l’on s’arrête est à 22 mètres de profondeur. On se trouve dans une cavité spacieuse surmontée d’une voûte arrondie légèrement surbaissée. Le sol est fortement incliné du côté opposé à l’ouverture, et la partie basse de la caverne est occupée par une nappe d’eau douce, qui dort éternellement immobile, sans que jamais un souffle de vent en vienne rider la surface. Le niveau de l’eau est à environ 60 mètres au-dessous du sol de la caldeira et 80 mètres plus bas que le petit lac qui sert de lavoir aux femmes de Praya. Le diamètre de la caverne est de 120 à 130 mètres, la hauteur de la voûte d’environ 30 mètres. Près du point où aboutit la descente, le terrain est fendillé et chaud ; il s’en dégage, par bouffées intermittentes, des quantités variables d’acide carbonique et d’hydrogène sulfuré. J’ai pu sans danger parcourir les bords du lac souterrain, tandis que parfois il est impossible d’en approcher à cause de la couche de gaz méphitique qui s’y accumule. Des pigeons-ramiers ont choisi ce séjour pour lieu de retraite. Un de mes guides ayant poussé un cri pour faire admirer le retentissement des échos de la voûte, ces oiseaux effarouchés s’envolèrent en si grand nombre par l’orifice de la grotte que nous fûmes un instant dans une obscurité complète. Toutefois ils ne tardèrent pas à revenir l’un après l’autre et ne s’inquiétèrent plus de notre présence. — Beaucoup de voyageurs, avant moi, sont descendus sans accident dans la caverne de Graciosa. J’ai été moins heureux ; dans l’ascension de retour, je me suis fracturé une côte contre la paroi du rocher.