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éliminer les exagérations. Beaucoup d’esprits parmi les conservateurs nous paraissent accepter un tel point de vue avec une facilité qui étonne. Ils croient le socialisme à certains égards applicable, n’en redoutent que le radicalisme destructeur et l’impatience révolutionnaire, et l’ajournent en se bornant à le tempérer. Il y a là une confusion singulière entre le socialisme et l’esprit de perfectionnement social, entre des chimères irréalisables et les formes à quelques égards nouvelles que peut prendre la société sans cesse en voie de transformation. On peut croire, sans adopter pour cela le point de départ et les conclusions de ces théories, que la société, qui a tant changé depuis deux ou trois siècles, ne se modifiera pas moins à l’avenir dans un même intervalle ; il est à supposer même, avec les moyens plus puissans et plus rapides dont elle dispose, qu’elle se modifiera davantage encore. La différence, c’est qu’il n’y a plus matière à révolution économique violente, les monopoles légaux ayant été détruits. Il n’est guère douteux enfin que cette modification ne se fasse dans le sens d’une égalité plus grande et d’un plus grand bien-être populaire. Non, il n’y a point de socialisme à le prétendre : le niveau de la masse, peut s’élever. La richesse sociale n’est pas en effet, non plus que l’instruction, une sorte de quantité immobile et fixe. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des idiots pour qu’il existe des hommes de génie, et des misérables qui meurent de faim pour qu’il y ait des fortunes élevées. L’industrie humaine, dont les fruits vont en croissant, et une répartition qui s’opère sous l’empire de libres transactions rendent cette élévation générale de la moyenne sinon certaine, au moins possible. Est-ce là ce que croient seulement bien des esprits trop prompts à beaucoup accorder au socialisme ? Serait-ce tout ce qu’il y a au fond de la pensée de l’auteur de la Vie de Proudhon ? Il va plus loin. Il attribue la fécondité, une vertu positive, aux idées proudhoniennes ; il tient pour acquis que Proudhon a légué des résultats théoriques et des conceptions en partie réalisables à la science et au monde. C’est cette affirmation qui doit être réfutée rapidement.

Le système de Proudhon, — et nous ne savons si ceux qui se portent aujourd’hui ses disciples s’en sont rendu compte, — n’est pas de ceux qui se peuvent scinder. Si l’appropriation du revenu du sol, si l’intérêt, tout intérêt du capital, sont illégitimes et doivent disparaître, presque tout disparaît dans l’ordre social et économique. L’élément de l’intérêt du capital se retrouve partout. On ne peut le détruire sans aboutir à un régime de gratuité universelle : c’est la négation de toute propriété ; c’est l’équivalent, à quelque échappatoire qu’on ait recours, d’un véritable communisme.