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ses derniers et plus fameux ouvrages, la Justice et la Révolution.

Les poursuites dont l’Avertissement aux propriétaires fut l’objet de la part du parquet, et dont l’auteur devait se tirer par un acquittement, donnent lieu à plusieurs lettres d’un tour vif, piquant, épigrammatique, d’une gaîté et d’une réalité de détails qui touchent à la caricature. « C’est du Daumier, et du meilleur, dit M. Sainte-Beuve ; c’est la comédie à la cour d’assises ; plusieurs passages, par leur belle humeur, rappellent Beaumarchais. » Il est certain que Proudhon s’y moque avec beaucoup d’esprit des juges, et non-seulement en paroles, mais en action, car il lut une défense qui ne fut qu’une longue ironie. Il était accusé d’avoir excité à la haine de certaines classes. Il fit une sorte de revue de ces différentes classes, et parla des prêtres, des académiciens, des journalistes, des philosophes, des magistrats, des députés. « Cette critique, écrit-il, lue avec un grand sérieux, une grande simplicité d’intonation, qui contrastait singulièrement avec le sel, la vivacité, l’énergie, la justesse des sarcasmes, toute pleine d’allusions personnelles dont quelques sujets se trouvaient précisément à l’audience, produisit un effet merveilleux. Les jurés se regardaient et se pinçaient pour ne pas rire, les juges baissaient la tête pour sauver leur gravité, et le public riait. Ce qu’on me reprochait d’avoir écrit n’approchait plus de ce qu’on me laissait dire, et ma recette homœopathique produisit le résultat que j’en attendais. Je fus acquitté avec applaudissemens du public, poignées de mains des jurés et félicitations des juges ! » Tout cela est fort bien ; mais nous qui avons souvenir de ces temps, nous nous disons : « Et voilà l’autorité qu’une presse acharnée chaque jour contre elle voulait faire passer pour tyrannique, oppressive ! » Nous pourrions ajouter à cette remarque bien d’autres observations chagrines, mais fondées, sur les avantages que donne en France l’opposition, à quoi qu’elle s’adresse, comparés au rôle ingrat de défenseur d’une société qui n’est au fond sévère que pour ceux qui la défendent. Avait-on raison ou tort de faire un procès à Proudhon ? Nous ne savons ; c’est surtout quand il s’agit de livres que l’autorité ne doit pas se montrer seulement libérale, mais qu’elle doit être circonspecte dans son propre intérêt. Proudhon disait qu’il n’avait entendu faire que de la science, riait de ses juges, et trouvait de son vivant et après sa mort d’indulgens et aimables conservateurs pour en rire avec lui. Quelle morale et quel enseignement !

Il résolut pourtant de ne point s’attirer de nouvelles affaires. « Il faut, disait-il, que je songe à endormir le dragon et à amorcer le requin. » Il désignait ainsi le gouvernement. « Je vais travailler à me rendre acceptable, même au pouvoir. » L’année 1842 se passa