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concessions auxquelles l’éminent critique paraît s’être abandonné en jugeant M. Proudhon et ses doctrines. Oui, sans doute, comme il le dit très exactement, un philosophe social doit, en dehors de tout esprit étroit de secte et de pays, étudier le monde, le vaste monde, « visiter et comparer les institutions, les mœurs variées des cités et des peuples. » Oui, il doit porter, dans ce qui fait l’objet du culte des uns et de l’exécration des autres, une impartialité clairvoyante et suprême, animée d’un souffle de sympathie. Des hommes d’un génie supérieur, un Montesquieu, un Aristote surtout, ont appliqué la méthode comparative avec une impartialité aussi féconde qu’élevée à l’ordre politique ; mais ils y ont joint quelque chose de plus, ils y ont joint la connaissance des vérités générales, permanentes, de ces lois d’une fixité qui échappe aux entreprises téméraires des esprits remuans ! Or de telles vérités, n’y en a-t-il pas aussi dans ce qui touche à la structure intime des sociétés, comme dans la constitution des gouvernemens ? L’auteur de la Vie de Proudhon semble méconnaître systématiquement que ces vérités forment comme un monde de recherches plus spéciales, le monde de l’économie sociale, que l’on réduit beaucoup trop dans une certaine opinion à des questions d’industrie et de statistique. Le travail, qui embrasse presque la totalité de la vie humaine, le travail a ses lois, comme la politique pure, lois dont la violation elle-même par les souffrances qu’elle entraîne confirme la réalité. Il y a sans doute des raisons qui expliquent que certaines sociétés se soient établies sur telle base, comme l’esclavage et la polygamie, sur le communisme ou sur d’oppressifs privilèges, sur l’absence de toute industrie et de tout commerce jouissant de quelque liberté ; mais comment ne pas remarquer que l’état de ces sociétés est fort inférieur, comparé à l’état des sociétés qui reposent sur les fondemens opposés, c’est-à-dire sur la reconnaissance de la liberté et de la responsabilité humaine, sur le travail libre, sur le mariage, sur la propriété, sur l’héritage ? Cette infériorité de fait n’est pas toujours la preuve d’une incapacité de race. Toutes les formes en un mot n’ont pas également pour effet de développer la nature humaine dans toute sa puissance, dans toutes ses ressources, de communiquer à la société ce déploiement d’industrie, de sciences, d’art, qui est le signe de la vitalité la plus grande et qui équivaut à la civilisation elle-même au point de vue moral, intellectuel et matériel. Il faut rechercher les causes durables et les principes généraux qui peuvent produire le maximum de liberté, d’ordre, de prospérité, étude qui a son point d’appui dans ces sciences morales, politiques, économiques, lesquelles prétendent se servir aussi de la méthode d’observation et d’expérience. Le physiologiste étudie les lois de la vie, les