Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Proudhon à un examen régulier ; nous préférons nous conformer à la marche même qu’a suivie M. Sainte-Beuve. La méthode du peintre des Portraits contemporains est avant tout, comme toujours, psychologique et morale. Peut-être pensera-t-on qu’elle s’applique moins naturellement à un de ces hommes d’action et de combat qui ne semblent guère faits pour être étudiés à cette tranquille lumière. Que sera-ce si l’action est d’hier, si le combat dure encore ! N’est-ce pas avoir l’air de se désintéresser un peu trop que de contempler avec ce sang-froid de savant ou cette curiosité d’artiste et armateur la lave qui n’a pas cessé d’être brûlante, le volcan qui reste en pleine éruption ? C’est une impression qu’on éprouve par instans en lisant cette biographie. Profitons cependant de ce que cette méthode d’analyse sereine qui vise à expliquer le dehors par le dedans porte en elle de vraie clarté, d’impartialité désirable. Elle jette en outre un jour saisissant sur l’esprit utopiste, dont Proudhon reste un des types les plus frappans. Cet esprit utopiste et révolutionnaire constitue une des parties caractéristiques de l’histoire morale de notre temps ; il se décèle dans cette vie, il se peint dans ces lettres, il se trahit plus d’une fois à son insu, par plus d’un trait, d’une confidence. La sévérité ne perd pas ses droits pour reconnaître certains côtés nobles et plus affectueux qu’on ne serait tenté de le croire. Voilà ce que nous voudrions mettre en relief. C’est en étudiant l’homme que nous parviendrons à comprendre ses idées et son rôle. Écoutons-le parler, écoutons aussi son bienveillant commentateur ; ne craignons pas, chemin faisant, de poser nos réserves.


I

Ce n’est pas sans raison que M. Sainte-Beuve rappelle, en y insistant un peu, les origines populaires de Pierre-Joseph Proudhon. Ces origines ont exercé sur sa destinée et sur son rôle une action que sa correspondance fera mieux apprécier. Il était né à Besançon le 15 juillet 1809. Son père était garçon brasseur ; plus tard il s’établit comme tonnelier ; il était cousin du célèbre professeur Proudhon, jurisconsulte de Dijon. Qu’on voie, si l’on veut, une influence de race et de nom dans ce mélange de rudesse qui sent le prolétaire et de subtilité juridique qui est un des traits de l’écrivain. Ce père, honnête homme, paraît avoir été une intelligence commune. C’est de sa mère, simple fille de campagne, femme héroïque, écrit un ancien ami de la famille, que l’enfant tenait ce qu’il y avait d’énergique dans son caractère. On n’a qu’à suivre ses débuts pour acquérir une nouvelle preuve que cette société,