Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Brésil avec un convoi d’émigrans, résistait à la tempête depuis plusieurs heures ; attaché par de fortes chaînes à deux ancres solidement fixées, il semblait défier la fureur des flots; mais son tour vint aussi, et nous le vîmes, après la rupture des chaînes, partir comme une flèche, bondir et se briser contre les récifs de la pointe Espalamaca. Notre bateau à vapeur, forcé de prendre le large, se trouva bientôt, grâce à l’espèce de digue protectrice formée par l’île de San-Jorge, à l’abri des mouvemens violens de l’océan, et il parvint sans encombre jusqu’à Terceire. Là, de nouvelles épreuves l’attendaient. La tempête nous suivait, et le soir même de notre arrivée dans le port d’Angra elle s’y manifestait avec une violence croissante. Au milieu de la nuit, le bateau à vapeur était forcé derechef de céder devant la puissance des flots, et obligé de fuir en pleine mer, en abandonnant ses ancres. Le lendemain soir, le calme se rétablissait enfin, et nous rentrions dans le port que nous avions quitté la veille; mais quel lamentable spectacle s’y offrait aux regards ! Le terrible vent sud-ouest, que les habitans de Terceire nomment le charpentier à cause de la violence irrésistible avec laquelle il brise et détruit les navires, avait passé par là et couvert le port d’épaves. Des planches de toutes dimensions, la plupart rompues, des débris de meubles, des bouts de mâts, flottaient de toutes parts. Dix ans auparavant, cette fois pendant l’été, au mois d’août 1857, il y avait eu aux Açores une tempête encore plus désastreuse, dont le souvenir est resté dans la mémoire des habitans de l’archipel. Non-seulement les navires qui se trouvaient dans le voisinage furent engloutis ou mis en pièces, mais l’ouragan, qui avait tous les caractères d’un véritable cyclone, exerça encore les plus épouvantables ravages dans l’intérieur des îles.

Pendant le mois que j’ai passé à Terceire, je n’ai vu entrer dans le port d’Angra qu’une seule embarcation. C’était une chaloupe venant de San-Jorge, qui avait profité de quelques heures de vent favorable pour franchir le canal qui sépare les deux îles. Durant ce mois, des bourrasques répétées ou des pluies incessantes rendaient également pénibles les excursions dans l’intérieur des terres. Les montagnes du centre de l’île étaient bien rarement dégagées de l’épaisse enveloppe de nuages gris qui, malgré la violence du vent, semblait y adhérer avec ténacité; dans la zone côtière, les averses multipliées étaient séparées par des intervalles où le soleil brillait de tout son éclat. Vingt fois dans une journée le soleil s’assombrissait et la pluie se mettait à tomber, puis, aussitôt le grain terminé, le ciel reprenait sa pureté, et des arcs-en-ciel d’une beauté incomparable témoignaient seuls de la persistance de la pluie à quelque distance.

Aux Açores, la température ne s’élève guère au-dessus de 30 de-