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En 1864, la chambre des lords avait adopté une mesure radicale : c’était d’obliger le juge, après deux récidives, à prononcer une condamnation à la servitude pénale. La chambre des communes a pensé que ce serait faire une violence peut-être dangereuse à la conscience du magistrat ; mais on voit par là combien le système général des prisons des comtés et des bourgs est encore défectueux.

L’étude des prisons qui sont directement sous la main du gouvernement offre plus d’intérêt. C’est là que l’Angleterre tient aujourd’hui enfermés tous les criminels qu’elle condamnait autrefois à la transportation. On sait que la transportation est abolie depuis 1867 ; mais, loin de s’être formé tout d’une pièce, le régime qui l’a remplacée s’y rattache fortement par ses origines. Il importe de rechercher comment s’est opérée la transition, quelles causes ont amené l’abandon du système ancien, quelle opinion se font aujourd’hui la plupart des Anglais des services qu’il a rendus, s’il est vrai enfin, comme on l’a soutenu en France récemment, que tôt ou tard l’Angleterre sera forcée d’y revenir.

« Le système de la transportation, écrivait en 1831 M. de Tocqueville, repose sur une idée vraie, très propre par sa simplicité à descendre jusqu’aux masses, qui n’ont jamais le temps d’approfondir. On ne sait que faire des criminels au sein de la patrie ; on les exporte sous un autre ciel. » C’est en effet à ce caractère de simplicité que la transportation a dû la faveur dont elle a joui pendant si longtemps en Angleterre. L’histoire nous la montre pratiquée pour la première fois, en vertu d’un acte du parlement, sous le règne d’Elisabeth. On avait imaginé un procédé barbare, mais qui ne coûtait rien au trésor public : c’était de livrer les condamnés à des trafiquans à qui on permettait de les vendre pour la durée de leur peine, dans les colonies de l’Amérique. En attendant leur départ, les condamnés étaient entassés sur des pontons, prisons flottantes où la discipline la plus sévère ne pouvait empêcher tous les désordres, et qui n’ont été complètement supprimées qu’en 1858. Plus d’une fois les colonies américaines firent entendre des plaintes ; l’Angleterre ne voulut rien écouter jusqu’à ce qu’enfin éclata la guerre de l’indépendance. On songea dès lors à bâtir des prisons ; mais, avant qu’aucun plan n’eût été arrêté, 15,000 criminels, réunis sur les pontons au milieu de la Tamise, jetèrent l’effroi dans toute l’Angleterre, et en mai 1787 le gouvernement résolut d’envoyer quelques-uns de ces condamnés à 5,000 lieues de Londres, sur les côtes encore presque inconnues de l’Australie, que Cook venait d’apercevoir.

Si l’on ne considère que l’admirable essor des colonies australiennes, on comprend l’enthousiasme qu’excite chez certains esprits