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tion, que sa confiance dans les détails du style et dans l’éclat de la poésie, sans être diminuée, laisse la première place à l’étude de l’ensemble. Dans une œuvre originale, qui ne sera ni soutenue ni enchaînée par un chef-d’œuvre classique, l’épreuve pourra être plus décisive.

Les acteurs ont eu leur part dans le bon accueil fait aux Érinnyes. Nous rendions tout à l’heure justice au talent de Mme Marie Laurent. Mme Regnard a tiré un fort bon parti de son rôle de Kasandra, où elle a mis de la noblesse et de la distinction ; le personnage un peu amolli d’Électre a trouvé une compensation et une sorte d’excuse dans le gracieux débit d’une actrice qui ne semblait pas destinée à représenter la terrible sœur d’Oreste.


LOUIS ETIENNE.


ESSAIS ET NOTICES.

L’Instruction du peuple, par M. Émile de Laveleye[1].

Le livre de M. de Laveleye ne pouvait venir à un moment plus opportun. L’instruction primaire est à l’ordre du jour ; cette question passionne les esprits en France et en Allemagne, en Angleterre et en Russie, en Belgique et en Portugal, et même en Amérique. Les partis politiques aussi bien que les partis religieux s’en sont emparés et l’ont inscrite sur leurs drapeaux. L’avenir des nations, M. de Laveleye a eu raison de le dire, dépend du degré d’instruction qu’elles atteindront, et cette vérité, aujourd’hui banale, explique parfaitement la chaleur mise partout dans la discussion des matières d’enseignement, les sacrifices que divers états se sont imposés et ceux qu’on leur demande encore.

Une question aussi importante ne se pose pas sans soulever des problèmes nombreux, dont l’étude est rendue difficile par la résistance des habitudes, par l’irritation des passions, par les appréhensions des intérêts. Ce sont ces problèmes que M. de Laveleye se propose de résoudre. Sa méthode est simple, mais elle n’en est que plus efficace : il va droit au but. S’agit-il de démontrer que « l’instruction du peuple est la question la plus urgente et la plus importante de notre temps, » il fait toucher du doigt cette vérité que, pour ceux auxquels l’instruction est conférée, c’est une parcelle de puissance et de lumière qu’on leur donne, car knowledge is power ; savoir, c’est pouvoir, « Indispensable pour accroître les richesses, l’instruction ne l’est pas moins pour apprendre à en faire un bon usage. Presque partout le salaire de l’ouvrier est insuffisant pour satisfaire ses besoins rationnels, et pourtant quelle

  1. Paris, Hachette et Cie.